Les élites françaises n'ont qu'indifférence ou mépris pour le sport. « Opium du peuple », le sport serait un loisir d'ilotes uniquement soucieux de « cirque » et de « pain » pour paraphraser la formule de
Juvenal.
Pascal Boniface le sait mieux que quiconque, lui qui, depuis une quinzaine d'années a tenté d'ériger le sport en général, le football en particulier, au rang de sujet géopolitique à part entière. Il ne se passe plus désormais de Coupe du Monde qui ne soit l'occasion pour cet auteur prolixe de publier un ouvrage sur le sujet : « Géopolitique du football » en 1999 (suite à un colloque tenu à, l'Assemblée nationale en mars 1998), « La terre et ronde comme un ballon » en mai 2002, «
Football et mondialisation » en avril 2006, « La coupe du monde dans tous ses états » en avril 2010. Il ne déroge pas à la règle en publiant, quelques semaines avant le début du Mundial 2014 une « géopolitique du sport » qui étend aux autres disciplines sportives et actualise les idées développées dans ces précédents ouvrages consacrés au football.
Première idée : le sport est un fait social mondial. 14 pays participaient aux jeux olympiques d'Athènes en 1896 ; pas moins de 205 – soit plus que les 193 États membres de l'ONU – ont participé à ceux de Londres en 2012. A l'heure du « village global », les grands événements sportifs rassemblent la planète toute entière : on estime à plus de 2 milliards le nombre de téléspectateurs de la finale de la Coupe du monde le 13 juillet dernier entre l'Allemagne et l'Argentine. 90 Chefs d'Etat et de gouvernement assistaient à la cérémonie d'ouverture des JO de pékin en 2008 Les stars du ballon rond sont universellement reconnues. Leur popularité éclipse celle des chefs d'Etat et des artistes.
Deuxième idée : le sport est multipolaire. La géopolitique du sport est le reflet des rapports de force stratégique. Si, pendant la Guerre froide, Washington et Moscou se disputaient la première place au palmarès olympique, la Chine a effectué une percée impressionnante, devançant les États-Unis aux JO de Pékin (mais devancés par eux aux JO de Londres 4 ans plus tard). L'Occident ne domine plus la scène sportive et n'a plus le monopole de l'organisation des grandes manifestations sportives. En l'espace de dix ans, les BRICs auront accueilli trois JO (Pékin 2008, Sotchi 2014 et Rio 2016) et deux Coupes du monde (Brésil 2014 et Russie 2018). L'organisation de la Coupe du monde de football 2022 au Qatar est un signal fort d'intégration du monde arabe dans la mondialisation.
Troisième idée : le sport suscite la fierté nationale. C'est un paradoxe à l'heure de la mondialisation qui brouille les frontières et dissout les identités. On nous dit que le monde est devenu post-westphalien, que les États sont désormais concurrencés sur la scène internationale par de nouveaux acteurs (entreprises, ONG, médias, mafias, religions ….) ; mais chaque JO, chaque Coupe du monde sont l'occasion d'un engouement chauviniste pour son pays. La popularité des Diables rouges, dans une Belgique qu'on disait à l'agonie, lors du dernier Mundial brésilien en est un exemple. Les États le savent qui n'hésitent pas à en faire un instrument de prestige et de propagande : ce fut le cas à Berlin en 1936 ou, deux ans plus tôt, à Rome lors de la Coupe du monde organisée et remportée par l'Italie.
Quatrième idée : le sport peut réconcilier les peuples et susciter des guerres. Cette idée est réductrice. Comme l'écrit très justement pascal Boniface « la seule rencontre sportive ne viendra pas mettre fin à des décennies de haine entre certains peuples ; mais [le sport] n'est pas non plus déclencheur de guerre. le ping-pong n'a pas suffi à rapprocher les États-Unis et la Chine maoïste en 1971. le football n'a pas entraîné à lui seul la guerre qui opposa en 1969 le Honduras au Salvador.
Il ne faut pas donner au sport plus d'importance qu'il n'en a. le monde contemporain reste dominé par des rapports de puissance et le sport, aussi populaire soit-il, reste un loisir. Pour autant, la mondialisation a donné au sport une visibilité globale et, dans une logique dialectique, se nourrit elle-même de sa capacité d'intégration. Paraphrasant
Malraux, Boniface n'a pas tort d'affirmer : « le XXIème siècle sera sportif ou ne sera pas ! ».