Je ne pensais pas prendre autant de plaisir à la lecture de
Place Médard de
Roland Boudarel !
Dès les premières pages j'ai été embarquée par le destin de cette jeune Gwenn née en 1862.
Son existence chavire en 1890 lorsqu'en vendant le lait de ses vaches, au marché de la
place Médard, à Quimper, elle croise le chemin d'un artiste inspiré par cette ville. Celui-ci, admiratif, croque son portrait. Elle devra alors affronter le courroux de son mari et sera marquée au fer rouge.
L'intrigue nous entraîne ensuite à suivre le destin de plusieurs générations nous permettant de descendre l'arbre généalogique et ce jusqu'à nos jours. Chaque chapitre est consacré à un ou une des descendants de Gwenn et porte son nom.
Roland Boudard m'a fait vivre une belle évasion, à la fois dans l'espace et dans le temps.
Il m'a fait voyager à Quimper, à Paris, à Montmeyran dans la Drôme, en Algérie, (Orane, l'une des descendantes retrouvant d'ailleurs dans Sétif des similitudes avec Valence), en Toscane, sur les rives du lac d'Annecy, ou encore à Lyon ou Saint-Étienne…
Il m'a également fait traverser avec les différents personnages un siècle et demi d'Histoire, leurs destins souvent façonnés soit par les coutumes et croyances de l'époque, soit par les faits historiques mêmes comme la deuxième guerre mondiale et la période d'épuration qui suivit, la guerre d'Algérie et le retour des « pieds noirs » ou mai 1968, sans oublier le bagne de la Nouvelle Calédonie.
Avec
Place Médard,
Roland Boudarel, en traversant les époques, nous fait vivre très naturellement, jamais de façon didactique, les changements intervenus dans la société au fil des années, avec à la fois une modification des habitudes de vie et des comportements.
Surtout, il m'a fait vibrer avec ces personnes et notamment ces femmes d'une force et d'un courage inaltérables face aux aléas de la vie, ces femmes fières qui ont voulu vivre libres et qui ont eu souvent maintes difficultés à exprimer leurs sentiments, ce qui fait dire d'ailleurs à l'un des protagonistes « Dans cette famille, les femmes ne pouvaient et ne savaient pas vivre ensemble ».
Toutes sont porteuses d'un héritage tragique dont elles ignorent tout et toutes ressentent cette histoire jusque dans leur chair. Il est d'ailleurs de plus en plus précisé par les scientifiques du fait que, même si l'on n'a pas conscience d'avoir reçu un passé traumatique, celui-ci peut s'insinuer dans notre psychisme de diverses manières.
Outre cet héritage tragique que chacune ressentira tour à tour, un autre fil rouge accompagne ce roman. Il s'agit d'un dessin, d'une sanguine représentant le Duomo de Florence, le peintre Giotto et Santa Reparata, patronne de Florence, seul souvenir laissé par un père que Gwenn n'a jamais connu.
Si ces femmes restent inoubliables après la lecture de ce roman, ce sont également les arts, partie intégrante du récit qui lui donnent une aura supplémentaire.
C'est avec beaucoup de poésie et de sensibilité que
Roland Boudarel fait revivre le quartier de Montparnasse en imaginant ce fameux magasin de couleurs « la Palette de la Ruche ». Un petit clin d'oeil à Annonay dans l'Ardèche, petite ville proche de mon domicile, et à sa célèbre Manufacture Canson et Montgolfier m'a surprise et ravie.
Les livres, ces amis indispensables, occupent une place importante, notamment pour Gwen « Même si je ne lisais qu'une dizaine de minutes, cela suffisait à mon bonheur », et pour Marianne « Ce sont mes amis de papier et de poussière. Ils ne me déçoivent jamais ».
Le théâtre en passionne aussi plusieurs de même que la musique et le concerto n° 2 de Mendelssohn en émerveillera plus d'une…
Des passages que je qualifierais de sublimes m'ont bouleversée par leur délicatesse et leur sensualité, telle cette nuit d'amour entre Hans et Orane devenus septuagénaires.
Place Médard, quatrième ouvrage mais premier roman de
Roland Boudarel, se lit d'un trait tant il est riche en émotions et c'est avec enthousiasme que l'on découvre ces personnages si attachants, tous profondément humains sur lesquels pèse un lourd secret.
C'est chaleureusement et sincèrement que je remercie
Roland Boudarel, ce voisin que j'espère un jour rencontrer, sans doute pas,
Place Médard, mais plutôt en Drôme ou Ardèche !
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