C'est presque comme si ce livre m'avait trouvé, et non l'inverse. Ca fait partie de ces heureux accidents de parcours que l'on rencontre parfois dans sa vie de lecteur . C'est sans doute un des derniers bouquins que j'aurais choisi dans une bibliothèque, - d'ailleurs il était dans la mienne depuis trois ou quatre ans, attendant que j'en dérange la poussière - et pourtant, quelle claque digne d'un Quatennens ou d'un
Will Smith au mieux de sa forme !
Nous suivons donc dans une langue impeccable, magnifique, l'histoire d'un homme qui, contacté par un jeune homme qui souhaiterait écrire l'histoire de son père, collabo et grand admirateur de Pétoche le moustachu pas très rigolo, entreprend de réunir toutes les informations qu'il peut trouver à son sujet. Dès lors, au travers de documents, de lettres, mais aussi grâce à un narrateur omniscient, le lecteur va lui aussi tâcher de percer le mystère de cet homme ténébreux, mort à la toute fin de la guerre. Histoire d'enfoncer le clou,
Allan Massie établit un parallèle entre le destin honteux de ce collabo, membre honoraire du gouvernement de Vichy, et celui de sa petite-fille, militante anti-apartheid.
Il faut vraiment que je munisse d'un stabilo quand je lis ce genre d'ouvrages, qui recèlent tant de passages beaux, profonds. Les dialogues sont superbes, l'atmosphère mélancolique qui baigne tout le bouquin est sublime, et je ne sais pas pourquoi, j'ai souvent pensé à Peaky Blinders. Peut-être à cause des dialogues ciselés ou de la capacité des personnages à passer d'une clope à un verre de cognac. L'auteur n'écrit jamais pour ne rien dire, mais il ne mâche pas le travail au lecteur : c'est à lui de se faire une opinion sur Lucien de Balastre. L'auteur ne dit jamais "c'était un salaud", ou "c'était un idiot", ou "c'était un héros", mais il soulève des pistes, il amène à réfléchir. C'est cela, les grands livres, ils vous élèvent. Ils vous font comprendre des choses sur vous et sur le monde qui vous entoure. Malgré ce qu'on pourrait penser, l'auteur est britannique. Je gage que s'il avait été français, il aurait été un candidat sérieux pour le Goncourt, à tout le moins le Renaudot. Car les thèmes que brasse le livre sont puissants : les idées, dit en substance l'auteur, sont un cancer, même celles qui partent d'un bon sentiment finissent perverties et provoquent le mal absolu. Comme un cancer, elles partent d'une cellule maligne qui se répand et essaime. La politique corrompt l'âme des hommes les plus purs, (saufs ceux d'extrême droite qui sont nés comme ça). On le comprend en frôlant la silhouette énorme de
De Gaulle, et les ombres de Laval,
Drieu La Rochelle, Pétain évidemment... ainsi que des personnages plus vrais que nature, si bien que j'ai dû fréquemment faire appel à mon ami Gougoule pour déterminer s'ils avaient vraiment existé.
A noter la traduction brillante auquel ce livre a eu droit. A l'heure où Netflix fait traduire et sous-titrer ses séries par des quasi illettrés, ça mérite d'être signalé.
J'ai toujours pensé qu'on trouvait deux types de livres dans ces boîtes qui se tiennent en général près des mairies : les livres qu'on y abandonne parce qu'ils sont très mauvais, qu'on ne veut surtout pas de ça chez soi, et ceux qu'on aimerait partager avec le monde entier tant ils nous ont marqué.
L'honneur d'un homme est indubitablement de ceux-là. Demandez à Trapenard s'il l'a lu. Si c'est non, c'est que j'ai raison.