C'est donc dans ce premier roman que le génie de Boutang prend possession de lui-même et maîtrise – il y va du commandement d'un navire dans ce mot très ancien – la tension des voiles gonflées par les vents puissants, capturés par un auteur qui, jamais, n'a oublié d'écouter ceux qui l'ont précédé, de tendre son oreille vers les chants qui mugissent depuis le grand large. Ne soyons dès lors pas étonnés que ce premier roman de
Pierre Boutang semble mimer le retour vers une source perdue mais pas ignorée, enfouie, cachée. Ce mouvement de retour, donc de poésie, est toujours le préalable de l'édification d'une grande oeuvre, d'une oeuvre qui ne s'édifie pas sur le sable mouvant. C'est d'abord et bêtement affirmer que Boutang n'a pas la prétention de créer ex nihilo, comme tous nos petits hannetons contemporains qui s'imaginent, sortant à peine de leur chrysalide, qu'ils vont butiner de façon insoucieuse des fleurs mille fois contemplées par d'autres, plus savants, plus patients, patients de cette patience d'entomologiste qui, selon
Ernst Jünger, a toujours fait la richesse des grands écrivains. Ce respect des voix du passé ne signifie en rien cependant que l'écriture de Boutang s'accommoderait d'une prudence qu'au reste il a toujours condamnée.
Harold Bloom a ainsi parfaitement raison de dire que tout grand auteur, s'il veut bâtir son oeuvre, doit détruire d'une certaine façon celles qui l'ont précédée, à tout le moins il ne doit pas tenter, dans sa création, de masquer la faille que longe cette dernière ou de combler le trou sur lequel elle s'est édifiée. C'est donc aussi prétendre, à un niveau métaphorique, que la maison décrite par Boutang ne s'élève, comme celle des Usher, que sur l'intime possibilité d'une lézarde dans la trame de l'être et du temps.