On ouvre toujours avec plaisir un ouvrage de T.C. Boyle, en sachant à l'avance qu'on va passer un bon moment: ici, il nous narre l'élaboration du mythique rapport Kinsey, premier document issu d'une démarche scientifique sur la sexualité humaine. Comme dans tous ses livres, l'auteur a réuni une abondante documentation sur la période, il a su créer ses personnages avec profondeur et finesse, qu'ils soient authentiques (le docteur Kinsey) ou imaginaires (son assistant John Milk). le roman est donc dense, Boyle prend son temps, et plein de rebondissements, un vrai bonheur de lecture. Mais le plus intéressant à mon sens, c'est que, 15 ans avant #metoo (il a été publié en 2004), T.C. Boyle traite de l'emprise et du consentement. Emprise que le docteur Kinsey, véritable mandarin et personnalité charismatique, exerce sur son entourage, ce Cercle des initiés dans lequel entre avec ferveur le timide John Milk. Emprise qui interdit tout esprit critique, toute remise en cause de la parole ou des exigences du grand professeur. Et ces exigences, elles sont nombreuses puisque la science impose de se livrer corps et âme, au point même, pour Milk, de faire passer au second plan sa propre famille - et de livrer son corps, et celui d'Iris son épouse, au bisexuel Kinsey. Quid du consentement, dans ces conditions ? Beaucoup ont vu ce roman comme une oeuvre joyeuse sur la libération sexuelle, mais j'y vois aussi une invite, peut-être, à réfléchir plus gravement sur les rapports de domination, dont le sexe serait ici une illustration et une métaphore.
Bernard Turle l'a traduit de façon un peu inégale, certains chapitres sont très réussis mais d'autres semblent bâclés.
Challenge USA : un livre, un État (Indiana)