Jouets et compagnie

Le discours des parents révèle ainsi une difficulté à faire coïncider l'image très forte de Barbie et les représentations liées à l'enfance. La poupée bébé, elle, reste associée à l'univers de l'enfance et la consommation d'accessoires se trouve légitimée par les soins au bébé. Barbie au contraire est l'adulte indépendante ; son mode de vie est éloigné du quotidien de la plupart des enfants, sa consommation totalement frivole et sans nécessité : c'est donc une image sans rapport avec le présent et le futur de l'enfant, et il est gênant pour bien des parents qu'elle puisse permettre d'exprimer un désir de devenir adulte sous une forme largement rejetée par les parents.
(...) Sans qu'il s'agisse pour autant d'une survivance de l'idée ancienne d'anticipation, les parents veulent que le jeu oriente l'enfant vers ce qu'eux-mêmes estiment être souhaitable pour l'avenir. Au contraire, pour l'enfant, le désir d'être adulte n'est pas une anticipation du futur, mais la réponse à une situation présente, réponse qui s'accompagne du rêve, de l'irréalisme et qui requiert des images valorisantes pour s'exprimer, tout en utilisant largement les informations issues de l'environnement immédiat.

Là où l'enfant vit un désir présent l'adulte peut voir une projection dans l'avenir de l'enfant devenu adulte. Il y a quiproquo sur le sens du jouet et du jeu. (...) le jeu apparaît plutôt comme le lieu d'une expérience sans conséquence où l'on peut, en fonction du désir présent, s'essayer à de multiples rôles sans engagement. Ce qui prépare le futur, c'est plus l'expérience d'une diversité de rôles possibles que le choix momentanée de l'un ou l'autre. Pour s'essayer à être adulte et par cela même s'aider à le devenir, selon la remarque de Freud, il faut bien que ce devenir prenne une forme concrète, en fonction des images disponibles, des désirs immédiats, des propositions sociales ou encore de l'expérience vécue. Cependant le désir est un moteur essentiel de telles expériences. D'où le rôle de la séduction, séduction des objets, séduction du jeu proposé par des camarades qui répond au désir, et plaisir du résultat quand la réponse est adéquate. Ce faisant, l'enfant détermine moins son avenir qu'il ne se constitue comme être doté d'un avenir, qu'il ne s'accepte comme futur adulte.

Pour le meilleur ou le pire l'enfant d'aujourd'hui connaît un espace de divertissement où il lui est loisible de disposer d'une liberté de choix. Il est vrai que cette liberté semble d'emblée vouée au conformisme social lié à la pression des pairs. Mais c'est une voie d'autonomisation face aux adultes que de s'appuyer sur la force du groupe d'âge. L'enfant est un acteur par la manifestation de ses goûts, parfois contre ses parents.

Nombre d'adultes hésitent à la [ Barbie ] considérer comme une poupée qui, pour eux, reste associée à la représentation d'un bébé et au jeu de maternage. On peut se demander s'il n'est pas plus sécurisant pour les adultes de voir les enfants manipuler des images explicitement enfantines, plutôt que des représentations qui, par leur référence au monde adulte, peuvent les mettre en cause dans leur rôle de parent. Par la projection de l'enfant dans un univers adulte il y a une façon d'échapper à sa situation et à l'emprise des parents, et cela est d'autant plus vrai que l'univers ludique est éloigné du quotidien.

Quand le jouet disparaît de la scène médiatique, son existence même est en danger. S'imposer sans support médiatique est devenu difficile.