Ma douleur est insidieuse, peu spectaculaire, difficile à décrire et donc difficile à partager : brûlures ? Fourmis ? Électricité ? Déchirement ? En vérité je ne souhaite pas décrire cette douleur ni même la partager. Tout au moins pas en dehors de ces pages. C’est ma technique à moi : je ne me plains pas, les gens admirent cela, j’en tire la fierté nécessaire qui me permet de surmonter cette maladie fort déplaisante.
Quand le regard d’un médecin fait des allers et retours du compte rendu médical au patient ce n’est jamais bon signe. Quand le patient se trouve être vous, la personne dont, jusqu’à preuve du contraire, vous êtes le plus proche et dont vous vous souciez le plus, ça devient carrément inquiétant.
J’ai appris la différence entre douleur morale et physique. Bien sûr je l’avais déjà éprouvée en d’autres occasions, comme tout le monde (on a tous vécu des amours foireuses… Agnès…), mais aujourd’hui je l’éprouve à chaque instant de ma vie.
Quand on est en bonne santé, il y a quelque chose de hautement grisant à se rendre dans un hôpital. Quelque chose au fond de vous qui murmure « Hey les gars, je suis là mais, je vous arrête tout de suite, c’est un mauvais concours de circonstances, je ne vais pas rester hein, ne vous habituez pas trop à moi ». On se sent particulièrement vivant parmi les mourants, particulièrement costaud parmi les faibles. Je dis « on » mais peut-être que ce n’est que moi après tout.
Je ne sais pas si je fabule, sans doute un peu, mais j’ai senti chez elle comme une jubilation d’avoir trouvé ce que j’avais. Les médecins sont avant tout des enquêteurs.