Voici une pièce relativement ancienne (1976) qui retrouve en ces temps d'épuisement des ressources une actualité : c'est du gros, du gras et du vorace. La seule et unique obsession : se remplir la panse que ce soit avec du solide, du liquide, du végétal ou non, du vivant ou du mort. Les corps se dilatent, deviennent énormes, l'obésité est un style, une mode, c'est à celui qui occupe le plus de volume. Seulement l'espace dans lequel évoluent toutes ces ventripotentes bedaines demeure constant, alors ça se heurte et se confronte hargneusement. le seul clairvoyant parmi les sept personnages, c'est le boucher. Lui seul connaît l'état des stocks. Il a beau prévenir qu'il ne pourra pas fournir la demande frénétique de bidoche, peine perdue, tout le monde exige d'être servi. Les gosiers humains engloutissent : veaux, vaches, cochons, poulets, dindes, canards, lapins, chiens, chats, souris, ratons laveurs... Enfin bref ! Toute la vie animale passe dans les tubes digestifs des énormes gloutons à deux pattes. Lorsque enfin le boucher ne peut plus servir ses chers clients, ces derniers l'accusent de les affamer et l'exécutent avec les outils de la boucherie.
L'anthropophagie le régime alimentaire à venir ?
Les Mandibules est une énorme farce à déconseiller aux végétariens mais qui peut susciter des vocations de végétarisme.
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LE BOUCHER : Oui, madame, et quand l'homme aura fini de brouter tout ce qu'il y a de verdure sur la terre, il s'attaquera finalement aux racines, aux arbres, et quand tout sera tondu, rasé, pelé, et qu'il ne lui restera plus rien à se mettre sous la dent, il s'en prendra directement à la terre, directement, je le connais, allez, j'ai trop vu la clientèle pendant des années, il se mettra à grignoter la terre, un petit bout chaque jour et de tous les côtés à la fois, et ça finira par se rétrécir, se rétrécir, se rétrécir, comme ça, petit à petit, sans même qu'il s'en aperçoive, comme pour la viande, et un jour, quand il n'y aura plus qu'une toute petite, une toute petite petite pellicule de terre -- alors crac ! tout ça foutra le camp dans le vide!
BABY : J'ai faim, papa !
BABETTE : Moi aussi, j'ai faim, maman.
[Vers la toute fin, je ne peux pas donner d'indication plus précise, car cette pièce est d'un seul tenant, elle n'est pas subdivisée; pourtant c'est un texte assez long. ]
Virginie Despentes accompagnée par le groupe Zëro : Éric Aldea (guitare), Ivan Chiossone (claviers), Frank Laurino (batterie)
Son : Wilo
Depuis Baise-moi en 1994, Virginie Despentes s'est imposée comme une écrivaine majeure avec notamment Les Jolies Choses (prix Flore 1998), Teen Spirit, Apocalypse bébé (prix Renaudot 2010) ou encore son essai King Kong Théorie. C'est qu'il y a chez elle une énergie d'écriture salutaire et sans concession, mais aussi une intelligence rare. L'acuité de son regard sur le monde contemporain (tantôt hilarant, tantôt glaçant de vérité), on la retrouve dans la « série » Vernon Subutex, fresque incroyable en trois tomes. Personne n'échappe à Virginie Despentes et, en même temps, elle sait très bien qu'il est jouissif de canarder à tous crins. Elle s'efforce donc de prendre à bras-le-corps, et d'aimer aussi, cette galerie de personnages ultramodernes qu'elle met en scène.
Ce soir elle vient accompagnée du groupe de rock Zëro pour payer une dette littéraire : celle qu'elle doit au mythique Requiem des innocents de Louis Calaferte.
À lire – Virginie Despentes, Vernon Subutex 3, Grasset, 2020.
À écouter – Zëro, « Requiem des Innocents » (avec Virginie Despentes), 2LP Ici d'Ailleurs, 2020.
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