Marguerite et Armand s'aiment, se marient. Pierrot naît. Armand part à la guerre. Marguerite retourne près de sa mère, qu'elle a fuie quelques années plus tôt. Elle ne revient pas dans l''immense maison de son enfance : le domaine est grand : elle prend la cabane au bord du lac.
Elle s'occupe à cajoler Pierrot et à penser à Armand. Elle n'attend que son retour.
Mais la violence et la mort ne hantent pas que les champs de bataille d'Indochine.
Peu à peu, l'autrice bâtit un parallèle glaçant entre les destins des amants éloignés : Ðiện Biên Phủ / Landes de Gascogne ; jungle infinie / interminable forêt de pins ; Việt Minh invisible/signes inexplicables.
Et pour les deux, une menace qui les dépasse, un piège qui se referme : d'un côté, la guerre ; de l'autre, la sorcellerie.
Car c'est bien dans le surnaturel que nous invite
Emmanuelle Caron. Un surnaturel parfaitement mis en scène, dans un réalisme troublant, au milieu d'une nature si normale, si chaleureuse, et autour de personnages modelés dans les moindres détails, avec toute la chair que peut conférer une histoire personnelle solide.
Pourtant, en divisant son récit en 2 parties, virant toutes deux progressivement au noir, l'autrice ne propose pas seulement de jouer à se faire peur.
Elle interroge : de la violence des maléfices ésotériques ou de celle des armes bien réelles, laquelle est la plus absurde ?
Outre cette réflexion, ce roman présente de nombreuses qualités :
- une écriture poétique, concrète, dans la tendresse de Marguerite pour Pierrot, la beauté de la forêt, les eaux reposantes du lac, mais aussi dans l'inquiétude, la peur, la menace, la folie, la violence, la mort.
- une structure originale, avec ces 2 mondes parallèles, présentés l'un après l'autre et pourtant entremêlés.
- le courage d'écrire autant de mots que de silences, nous laissant libres de compléter une scène, de choisir nos réponses, d'imaginer ce que la lumière fera sortir de l'ombre.
Ce roman est maîtrisé, beau, intelligent, inhabituel, réussi.
Emmanuelle Caron confirme le talent qu'offrait déjà
Tous les âges me diront bienheureuse.
À lire absolument !