A lire ce très bon livre d'histoire, ou essai historique, on se résignera à ne jamais connaître
Caligula, si peu que ce soit, pour la raison même que trois grands auteurs antiques lui ont consacré leurs écrits et l'ont placé de ce fait hors de toute atteinte. En effet,
Jean-Noël Castorio nous fait bien comprendre que la masse de documents historiques, émanes de la caste sénatoriale, qui encombre son personnage, ne fait que mieux nous le cacher, et oblige l'auteur moderne à lire entre les lignes, à pratiquer un doute systématique et à mesurer que tous les Anciens ont nommé du nom de
Caligula une sorte de fantasme du tyran, de personnage mythique qui n'a que peu de rapports avec le vrai. Cela se voit à deux critères principaux que Castorio énonce dans ce livre, qui est une magistrale leçon d'histoire : les récurrences, à savoir les traits de caractère, éléments narratifs et linguistiques, que l'on trouve attribués à
Caligula, puis à Néron, puis à Domitien et à Commode, enfin à Héliogabale et à bien d'autres encore, avant et après eux ("mythèmes"). Ces récurrences trahissent le travail de mythologisation du personnage historique et sa transformation en monstre de légende ou en personnage de tragédie. le second élément est la contradiction dans le récit historique, qui montre bien que les Anciens n'avaient pas pour but de construire une narration cohérente à son propos, mais d'élaborer un "exemplum", un modèle littéraire du mauvais empereur.
Ainsi donc, l'exercice d'histoire romaine s'apparente plutôt à une sorte d'explication de textes, par laquelle le chercheur va tenter de cerner la petite part de réalité qui subsiste entre les plis des grands récits gréco-latins. On pourrait alors se demander pourquoi lire encore Tacite,
Dion Cassius ou
Suétone. Dès l'instant que l'on n'attend de ces écrivains pas plus que ce qu'ils apportent, à savoir la splendeur du style et de la langue, l'illustration du grand genre rhétorique de l'éloge et du blâme, on peut les lire avec profit.
Jean-Noël Castorio a fait un livre brillant, bien argumenté, pas toujours bien écrit, et dont la partie la plus faible, paradoxalement, est la fin, consacrée à la destinée de
Caligula dans la littérature et les arts : la nature même de son thème l'oblige à faire des énumérations, certes savantes et approfondies, mais qu'on aimerait voir mieux pensées et autrement composées.
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