Oui,
Sire Cédric plaide coupable. Lui qui aime en sa qualité d'auteur mettre en scène des monstres hybrides couverts de sang et entourés d'une étrange aura poétique, ne pouvait en endossant le rôle d'anthologiste faire moins que procéder à une hybridation littéraire entre ces deux genres noirs que sont le fantastique et le polar. Et l'alchimie est réussie, qui donne naissance à sept textes à la sombre tonalité dans lesquels détectives et criminels ne sont pas forcément humains, si ce n'est dans les horreurs et terreurs qu'ils laissent percer.
Edgar Allan Poe, « le Chevalier Dupin » :
Edgar Allan Poe est appelé à la barre en sa qualité de maître fondateur de la littérature policière, avec cet extrait de «
Double assassinat dans la rue Morgue » : quelques pages pour dresser le portrait du chevalier Dupin, l'excentrique aux étonnantes facultés d'analyse.
Léa Silhol, « La Ballade des Egarés » : Dans ce sombre épisode du Dit de Frontier, l'univers de fantasy urbaine créé par
Léa Silhol, un détective fay lancé à la recherche d'une gamine égarée affronte les pièges d'une dangereuse cité. Flirtant avec les ambiances du polar américain, les accessoires cyberpunks et les références féeriques, une nouvelle aussi glaçante que captivante sur les horreurs qui peuvent guetter les enfants.
Robert Weinberg, « L'Eglise des Âmes Perdues » : Il y a des enlèvements dont les autorités impuissantes ne peuvent que prévoir la sanglante issue. Mais parfois, d'autres forces entrent dans le jeu…
Robert Weinberg est un maître du thriller occulte, et il en fait la démonstration dans cette nouvelle efficace, à l'action rapide.
Elisabeth Ebory, « Ce que le temps a jugé » : Une enquêtrice à l'étrange spécialité se voit demander de relancer l'instruction d'un dossier de meurtre ancien, aussi ancien que les divinités d'Asgard… Elégamment rédigé, ce récit d'enquête qui en profite pour revisiter la mythologie nordique est un régal.
Armand Cabasson, « Vide intérieur » : Un shérif raté voit dans un meurtre sanglant l'occasion de monter enfin en grade. Mais pour impressionner le FBI, il eût mieux valu ne pas parler de loup-garou… Entre la farce et la tragédie, le portrait habilement dressé d'un loser prêt à tout pour échapper à sa condition.
Merlin Gaunt, « 1888 » : Dans un futur tellement peu reluisant que toute la population semble s'être réfugiée dans les drogues et les univers virtuels, un enquêteur de Scotland Yard s'acharne à résoudre des meurtres de prostitués. Tout semble lié à un jeu vidéo au titre énigmatique, 1888. Les amoureux d'une certaine époque auront sans doute vite décrypté la référence, mais n'en apprécieront pas moins la ballade dans ce monde désolé, où le passé oublié prend des allures de fabuleux mirage… ou de cauchemar ressuscité.
Gary A. Braunbeck, « Les Dépouilles Abandonnées des Hommes Morts Sans Sépulture » : Un ancien flic traumatisé par ce dont sa dernière enquête l'a rendu témoin, se voit proposer une affaire facile : lui-même fils de forain, il lui faudra pénétrer au coeur d'une foire. C'est compter sans les spectres qui le hantent…
Gary Braunbeck déploie dans ce morceau d'horreur toute sa sensibilité tellement humaine, et tout son talent.
Une anthologie tout à fait dans le ton de la couverture réalisée par
Aleksi Briclot : noire, parsemée çà et là d'éclats de mythe et d'histoire, parfois éclairée des lueurs blafardes du futur. Il s'en dégage une impression générale très sombre, celles d'âmes parties à la dérive dans un univers où réalité et raison s'effilochent jusqu'à disparaître, et devant ce défilé de cauchemars devenus suspects et criminels, on se sent glisser soi-même dans un sentiment hybride de fascination et d'horreur qui atteint son paroxysme avec la nouvelle de
Braunbeck et son terrible coup de poing final.
Comme il est de tradition dans les Emblèmes, une partie analytique vient compléter ces expériences de fusion entre genres. Directeur de l'anthologie
Détectives de l'impossible où se mêlaient SF et polar,
Stéphane Nicot est bien placé pour évoquer le thème « du Noir dans l'Imaginaire », tandis que
François Manson propose au lecteur un « parcours de lecture » alléchant.
[Impression jadis partagée sur le Coin des Lecteurs]