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EAN : 9782862312514
151 pages
Maurice Nadeau (15/11/2016)
4.17/5   6 notes
Résumé :
"De 1937 à 1956, je vécus dans les camps et en exil. Les conditions du grand Nord excluent la possibilité décrire et de conserver des récits et des poèmes - à supposer qu'on veuille le faire. Quatre ans durant je n'ai eu ni livres ni journaux. Ensuite il s'est trouvé que de temps en temps on pouvait écrire et garder des poèmes. Beaucoup de ce qui fut écrit - une centaine de poèmes - a disparu à jamais. Quelque chose cependant a été sauvegardé. En 1949, travaillant c... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (3) Ajouter une critique
Fascinante photo que celle choisie par les éditions Maurice Nadeau pour la couverture des Cahiers de la Kolyma et autres poèmes de Varlam Chalamov. Il semble que l'on puisse lire dans le visage marqué du poète toutes les horreurs qu'il a vues et vécues, lui qui avouait : « Ce que j'ai connu, un homme ne devrait pas le connaître, ni même savoir que cela existe. »
Qui était Varlam Chalamov (1907-1982) ?
Fils d'un prêtre orthodoxe russe, le poète est arrêté une première fois le 19 février 1929 pour avoir aidé à diffuser « le Testament » de Lénine, texte de janvier 1923 dans lequel ce dernier manifestait ses réticences à l'égard de Staline qu'il jugeait « trop brutal », proposant plutôt de le remplacer au secrétariat général par un camarade « plus tolérant, plus loyal, plus poli et plus attentif envers les camarades ». Chalamov est envoyé trois ans dans un camp de travail à Vichéra (Oural central). Il y restera jusqu'en 1932.
Au moment des Grandes Purges staliniennes, Chalamov est classé KTRD : il est accusé d'être « fauteur d'activités contre-révolutionnaires trotskistes ». Il repart au Goulag en janvier 1937, dans la Kolyma, région de Sibérie orientale, placée au-dessus du cercle polaire arctique. Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? Cela veut dire que les hommes, après avoir construit eux-mêmes les bâtiments dans lesquels ils logeront, vont chercher de l'or, casser la pierre dix à douze heures par jour, jusqu'à épuisement, par moins quarante, moins cinquante degrés. A moins cinquante-six degrés, ils sont autorisés à rester dans leurs baraquements non chauffés. Autant le dire clairement, survivre à la Kolyma relève du miracle : la première année, trente pour cent des hommes meurent ; au bout de deux ans, généralement, rares sont les survivants.
La Kolyma, c'est « la planète enchantée : douze mois d'hiver, le reste, c'est l'été. » témoigne ironiquement l'auteur dans ses récits en prose sur sa terrible expérience.
Au froid insondable, s'ajoutent la faim, la maladie, la peur, le travail et la mort qui rôde, omniprésente. « Deux semaines, c'est très exactement le temps qu'il faut pour transformer un homme valide en crevard. » La déshumanisation est fulgurante : « Tout ce qui lui était cher est réduit en cendres, et la civilisation et la culture s'envolent en un temps record qui peut se compter en semaines. » On ne pense pas au lendemain, on vit au jour le jour, comme une bête.
Traduire la souffrance en mots est quasi impossible. D'ailleurs, le langage n'existe plus : on se « contentait d'une vingtaine de mots » dont « la moitié était des injures » peut-on lire dans les Récits de la Kolyma.
Face à cette expérience des camps « absolument négative », l'art est « le recours vital. » Mais, bien évidemment, comme le précise Chalamov, « Les conditions du grand Nord excluent la possibilité d'écrire et de conserver des récits et des poèmes - à supposer qu'on veuille le faire. »
En 1946, épuisé et malade, il a « la chance » d'échapper à la condamnation à mort et est hospitalisé. Il deviendra en 1949 aide-médecin. Alors, il pourra se remettre à écrire « sur les revers et les pages de garde de pharmacopées, sur des feuilles de papier d'emballage, sur des sachets. »
Libéré en 1951, il doit rester dans la zone de la Kolyma : « j'écrivais nuit et jour dans des cahiers de fortune ». Il pourra quitter la région à la mort de Staline en 1953.
La langue de Chalamov se veut dépouillée, essentielle : « une langue précise » où seul, de temps à autre, surgit…un détail, un élément saisi sur le vif. »
Dans son introduction, Christian Mouze, traducteur des Cahiers de la Kolyma et autres poèmes ajoute que l'écriture de Chalamov est « marquée de cette inclination pour le naturel et le concret. »
Le concret, c'est le froid qui fait qu' « au-dessous de moins cinquante un crachat gèle au vol ». La poésie de Chalamov est recouverte de l'étendue blanche qui fige les corps et les âmes : « Et je gémissais sous les tenailles du froid / Qui m'avaient arraché ongles et chair, / Je brisais mes larmes avec la main, / Non, ce n'était pas un rêve. »
Il faut résister, tenir bon : « Je suis un petit jalon de la vie, / Un bâton enfoncé dans la neige, / Une voix que l'écho a égarée/ Dans les glaces de ce siècle. »
« le souffle de l'hiver » menace et broie les hommes : « Bonsoir, dieu de la tempête, / de nouveau comme la dernière fois, / Tu vas nous dévorer en deux semaines », « Je fus brûlé de gel ». Il faut lutter jusqu'à la belle saison : « Et l'espoir des hommes grandit / A la rencontre du printemps ». Alors, on découvre au loin le pin nain, le premier arbre à annoncer le printemps.
La faim aussi use, ronge et tue : « Je mangeais comme une bête, rugissant après la nourriture », « Je buvais comme une bête, lapant l'eau, / Je trempais mes lèvres enflées, / Ne vivais au mois ni à l'année / Et prenais mon parti des heures. »
Malgré l'épuisement, il faut travailler : « Longtemps j'ai cassé des pierres, / Pas avec un ïambe en courroux mais une rivelaine ».
Malade ou mourant, il faut avancer « le sang coule des gencives / Abîmées par le scorbut, / On reconnaît là l'estime / Dont témoigne la taïga », « de ses gencives enflées / du sang exsude. / Combien de printemps jusqu'ici ? / Et combien en reste-t-il ? »
Chaque jour ressemble au précédent et demain est un mot qui n'a pas de sens…
L'impossibilité de comprendre pourquoi on est là est une source infinie de souffrance, un sentiment terrible d'absurdité : « Je cherchais la raison des coups ».
Chalamov évoque alors les hommes de la Vieille Foi, tel l'archiprêtre Avvakoum (17e siècle), qui s'opposaient aux réformes religieuses que l'on voulait leur imposer et que l'on a réduits au silence dans les flammes. Ils rappellent au poète le martyre qu'il subit au goulag : « Soit, on m'a raillé, / Livré au bûcher, / Qu'on disperse ma poussière / Dans le vent de la montagne. »
Alors, seule la poésie peut permettre à l'âme de ne pas succomber totalement : « Chaque soir dans la surprise / de me savoir vivant, / Je me disais des poèmes, / J'entendais à nouveau ta voix. »
Un poème entier, ode à la poésie, dit à quel point elle l'a aidé à survivre : « Pour la poésie », « Si je ne perds pas mes forces, / Si je puis dire quelque chose, / C'est que tu es ma volonté et ma force. », « Tu conduis mon âme / Par la mer et la terre, / Les plantes et les bêtes. / Tu me protèges des balles, / Juillet tu me le ramènes / A la place des décembres éternels. »
Dans un autre poème, il dit encore l'importance de la poésie : « Les vers - ce n'est pas que le reflet / En petit des grands événements, / Ils sont pour déplacer cette terre, / Un levier soudain trouvé. ». Enfin, ce cri du coeur : « Ces mots - ce ne sont pas châteaux d'Espagne / Ou de cartes, je ne sais quelle folie, / C'est ma force contre l'indifférence, / C'est, dans l'hiver, ma forteresse bâtie. »
La nature si dure peut être belle aussi et sauver l'âme du néant si l'on sait la contempler. C'est ce que nous livre « Août » : « Soir. le jardin noir éclaire / Les pommes fondantes. / Comme des boucles d'oreilles / Elles pendent aux branches. »
Beauté aussi du matin : « C'est que j'aime toujours à l'aube / Plus pure qu'une aquarelle, / le reflet laiton de la lune / Et le trille des alouettes. » Alors, il se récite les textes qu'il connaît et quand c'est possible, écrit : « Ce m'était merveille des merveilles / Qu'une simple feuille de papier à écrire / Tombée des cieux dans notre triste forêt. »
Tristesse aussi du poète quand la nature est mise à mal : « Je pense sans arrêt à cela seul : / On a tué un peuplier sous ma fenêtre. »
Longtemps après, les cauchemars reviennent, inlassablement, torture infinie.
On n'oublie pas la Kolyma et le « Chant nocturne » est une plainte, un cri : « Je n'obtiendrai pas la paix, / Ni dans le rêve, ni dans la réalité », « Je ne vois pas de terme au supplice, / Et les tracas n'en finissent pas. »
Chalamov n'est plus. Ses vers, « stigmates » de ses souffrances, disent l'indicible, l'impensable. Ils sont le « fil conducteur », « le lien unique » de lui à nous. Ils sont « la mémoire » de ce qu'il fut et de ce qu'il vécut, le « fil littéraire de son destin ».
Ne lâchons pas ce fil qui nous mène jusqu'à lui. Si le poète n'est plus, ses mots sont bien vivants. Ils portent en eux le froid, la faim, la souffrance et la peine.
À nous de les entendre, de les apprendre aussi peut-être. Afin qu'ils résistent au temps…

Lien : http://lireaulit.blogspot.fr/
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J'ai été très fortement marquée par ma lectures des Récits de la Kolyma, un ensemble de textes dans lequel Varlam Chalamov évoque son expérience du goulag, dans lequel il a passé 22 ans. Une visite au rayon poésie de la médiathèque m'a mis en présence de ce recueil de poèmes de l'auteur, avec en couverture une photo d'un visage ravagé, au regard très intense, à laquelle je n'ai pas pu résister.

Dans la préface, Chalamov évoque un peu ses expériences, ce que signifie écrire pour lui, parle de sa poésie. Puis nous avons un ensemble de poèmes, la majeure partie a été écrite dans le camp, d'où le titre, quelques uns datent de l'après sortie.

Dans une écriture sobre, dépouillé, ne recherchant pas le pathos, les textes évoquent un esprit de résistance, une volonté farouche de ne pas plier. Parlent du froid, de la faim. Il y aussi quelques textes plus sensuels, qui disent le plaisir d'un instant très simple,l'amour y a une place. C'est au final moins noir que les textes en prose des Récits de la Kolyma, comme si la poésie, par le plaisir qu'elle donne, permettait plus d'optimisme. Sans à aucun moment oblitérer la lucidité. C'est dense et fort.
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Varlam Chalamov a eu le malheur de vivre pendant l'ère stalinienne. D'abord condamné dès 1929 à 3 ans, en 1937 il est à nouveau envoyé au Goulag pour 5 ans, peine ensuite prolongée de 10 ans ! A partir de cette expérience inhumaine, destinée à faire mourir à petit feu, il a tiré les incroyables "Récits de la Kolyma". Libéré en 1951, il ne revient à Moscou qu'en 1956. Il mourra dans un hôpital psychiatrique en 1982.

"Les cahiers de la Kolyma sont un ensemble de poésies indirectement inspirées par son séjour en camp. On n'y trouve pas d'indications réalistes sur la cruauté des conditions de vie. Mais la mort n'est jamais loin. Pas question de se plaindre ou de dénoncer d'une manière virulente. Je crois plutôt déceler une forme de sombre sérénité, limpide et glacée comme l'atmosphère de l'hiver sibérien. Certains textes m'ont beaucoup touché.
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Citations et extraits (17) Voir plus Ajouter une citation
Le piano



Les rayures du piano sont bien visibles
Sur un sol peint en jaune :
Sans doute, on a ouvert les portes,
On a poussé le piano dans un coin.

Et ses pieds ont laissé leurs griffures,
À l’évidence, il s’est trouvé à bout de force
Dans sa lutte mal venue avec ses hôtes,
Une fois passé le seuil.

Et le voici tiré ailleurs,
Installé quelque part contre un mur.
Le piano est une arme silencieuse,
D’un silence fabuleux.

C’est alors que tout conduit à son pouvoir,
Tous attendent une manière de miracle
– Là où se trouve un piano
Est installé l’esprit de la musique.


/ Traduction du russe par Christian Mouze
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Août

Soir. Le jardin noir éclaire
Les pommes fondantes.
Comme des boucles d'oreilles
Elles pendent aux branches.

C'est l'instant de la danse
Impétueuse des feuilles,
Des rafales de vent,
Du pourpre et de l'or des cieux,
Des lacs et des herbes.

Les oiseaux tracent avec inquiétude
Au-dessus de leur nid cercle après cercle,
Et tantôt ils reviennent,
Tantôt s'éloignent vers le sud.

Lentement les nuits s'obscurcissent.
C'est toujours la touffeur.
L'été ne veut pas attendre plus,
Mais l'automne n'est pas venu.
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Ce m’était merveille des merveilles
Qu’une simple feuille de papier à écrire
Tombée des cieux dans notre triste forêt. 
     
"Cahiers de fortune"
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N'aie pitié de moi, Tania, n'effraie pas ma gloire,
ne me distrais pas de ma feuille.
Tu entends - mon coeur tressaille, tu vois -mes mains ont leur rythme.
Pour suspendre le temps.

Je ne serais plus un autre, je n'ose y penser,
Impossible de vouloir l'impossible.
Ou je chante comme l'oiseau, ou avec la pierre me tais -
J'aime ce destin à mon aune.

Ces mots - ce ne sont pas châteaux d'Espagne
Ou de cartes, je ne sais quelle folie,
C'est ma force contre l'indifférence,
C'est, dans l'hiver, ma forteresse bâtie.
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Cent fois que je vais à la poste



Cent fois que je vais à la poste
Pour aller chercher ta lettre.
À présent la nuit je ne dors plus,
je ne vis plus le jour.

Je crois, je crois à tous les signes,
Aux songes comme aux araignées,
Je crois aux skis, je crois en été
Aux barques étroites qui filent.

Je crois au vrombissement des automobiles,
À leurs orageux diesels,
Aux colombes messagères,
Aux mâts des navires.

Je crois aux sifflets des vapeurs,
Je crois aux trains,
Même à l’été
Je crois parfois.

Je crois dans les traîneaux à rennes,
Dans la boussole du voyageur
Près de ses cartes engivrées
Et dans la désolation de l’heure.

Dans les vaillantes kibitkas *
Et dans les chiens d’attelage,
Aux escargots et leur sang-froid,
À l’indolence des tortues.

Je crois comme par enchantement,
Au sang qui se glace,
Je crois aussi à la patience
Et à ton amour.


/ Traduction du russe par Christian Mouze

* Kibitka : traîneau couvert
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Videos de Varlam Chalamov (2) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Varlam Chalamov
Dans ses "Récits de la Kolyma", un recueil de nouvelles écrites après sa libération, l'écrivain russe Varlam Chalamov témoigne de l'enfer des goulags staliniens, auquel il a survécu après une vingtaine d'années de pénitence. L'histoire de Varlam Chalamov a été source d'inspiration pour Gisèle Bienne et Michaël Prazan, invités de Nicolas Herbeaux pour transmettre ce témoignage marquant et essentiel.
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