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EAN : 9782701164168
240 pages
Editions Belin (11/10/2012)
4.19/5   27 notes
Résumé :
Durant plus d'un mois, Nicolas Werth, spécialiste reconnu des politiques de violence en URSS et de l'histoire du Goulag en particulier, et ses compagnons de voyage vont sillonner la Kolyma, région symbole du goulag, la plus éloignée et la plus inaccessible, à la recherche des dernières traces du plus grand ensemble concentrationnaire soviétique. Durant 25 ans, entre 1930 et le milieu des années 1950, 20 millions de soviétiques sont passés par ces camps, 2 millions s... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (7) Voir plus Ajouter une critique
Le grand historien du Totalitarisme Communiste et plus particulièrement du Soviétisme en U.R.S.S., Nicolas Werth, a décidé d'organiser récemment, en août 2011, un périple avec sa fille Elsa, sur les « traces » des vestiges du Goulag, dans la magnifique mais inhospitalière région de la Kolyma en Russie, où l'hiver dure presque toute l'année avec des températures pouvant descendre fréquemment jusqu'à – 50° !
En effet, décortiquant depuis vingt ans, les Archives entrouvertes de Moscou, suite à l'effondrement de l'U.R.S.S. en 1991, Nicolas Werth ressentit le besoin, voire l'impérieuse nécessité, pour « matérialiser » les tragiques faits historiques en côtoyant les rescapés et les lieux, de se rendre où ont été perpétrés une partie des monstrueux Crimes contre l'Humanité Soviétiques. Sa fille et l'auteur ont donc parcouru les lieux : des camps de concentration et de travaux forcés du Goulag Stalinien, des charniers exhumés des victimes fusillées, recueilli les derniers témoignages des quelques survivants désormais âgés, et des rares musées, afin de rendre hommage à toutes ces victimes oubliées de la répression Soviétique aveugle et impitoyable, et de pouvoir ainsi perpétuer la Mémoire des victimes du régime Totalitaire Communiste.
D'autant plus que le temps presse, car les vestiges ont presque tous disparu et les rescapés sont de moins en moins nombreux…

Pour se rendre dans la région de la Kolyma, ils passèrent évidemment par sa zone de transit, sa « capitale » : Magadan. Afin de se rendre compte de l'horreur des déportations, Nicolas Werth précise que le voyage de 8 000 kilomètres qu'ils firent en avion entre Moscou et Magadan, dura neuf heures ; alors que les zeks (prisonniers), eux, le faisaient entassés dans des wagons à bestiaux dans des conditions dégradantes et déshumanisantes durant trois, voire quatre mois !
Mais ce n'était pas tout, car entre Vladivostok et Magadan, cette terrible déportation se poursuivait interminablement à fond de cale de cargos, dans des conditions d'hygiène aussi épouvantables que dans les wagons à bestiaux des convois de déportés.
Tragiquement, nombreux étaient ceux et celles qui mourraient de faim, de soif, de froid, de maladie… durant ces effroyables déportations.

Ivan Panikarov, un « spécialiste » de la Kolyma dresse alors l'effroyable bilan humain de la Kolyma, à Nicolas Werth (page 102) :
« Je l'interroge sur le nombre de détenus débarqués à la Kolyma entre 1932 et 1955. En se fondant sur un certain nombre de travaux d'historiens ayant travaillé dans les archives du NKVD de Magadan, il estime ce nombre à environ un million. Sur ce nombre, environ 150 000 seraient morts de froid, de faim, d'épuisement, de maladie ; 12 000 environ auraient été condamnés à mort et fusillés, l'immense majorité d'entre eux au cours de la Grande Terreur de 1937-1938. (…) En ce qui concerne la mortalité, elles indiquent, pour les camps de la Kolyma, un taux de 50 % supérieur à la moyenne des camps du Goulag durant l'ensemble de la période. »
Nicolas Werth et sa fille furent guidés dans leur périple par les responsables de l'association Memorial de Moscou, comme Irina Flige et Alexandre Daniel. Ces derniers mènent un travail de Mémoire formidable mais traumatisant en recherchant méticuleusement et sans relâche : les corps des victimes exécutées en exhumant les fosses communes et les charniers ; ainsi que les rescapés afin de recueillir leurs essentiels témoignages. Au total, il y eut 20 000 000 de déportés dans les camps de concentration du Goulag entre le début des années 1930 et le milieu des années 1950, soit 1 adulte sur 6 ; et 2 millions y périrent (confer Anne Applebaum : « Goulag : une Histoire »).

Également, 1 500 000 innocents dont la moitié, donc 750 000 furent fusillés arbitrairement et sommairement, et les 750 000 autres furent condamnés à dix ans de camp, durant les abominables seize mois que dura la Grande Terreur Stalinienne de 1937-1938 ! (confer Nicolas Werth : « L'ivrogne et la marchande de fleurs : Autopsie d'un meurtre de masse 1937-1938).
Nicolas Werth se rendit, entre autres, sur le gigantesque charnier de Boutovo, où, 21 000 condamnés à mort furent exécutés par le N.K.V.D. (la Police Politique Soviétique) entre le 8 août 1937 et le 19 octobre 1938, dans le secret le plus total. Tellement secret (comme la plupart des opérations d'extermination de masse), que ce charnier ne fut découvert par l'association Memorial, qu'au début des années 1990.
Nicolas Werth se rendit également sur l'un des plus sinistres et importants lieux d'exécution de masse de la Kolyma, celui de la Serpantinka, où, entre 6 000 et 10 000 détenus furent exécutés.
Au début des années 1990, dans un article, l'un des rares rescapés des exécutions de la prison de la Serpantinka, Ilia Fedorovitch Taratine, décrivit la manière dont ces exécutions étaient menées implacablement par les Tchékistes du N.K.V.D., dans la cour intérieure, entourée d'une haute palissade (page 125) :
« Cette cour ne se distinguait guère de ces abattoirs ruraux que l'on trouvait dans la plupart des villages russes. Les condamnés, entravés, étaient abattus d'une balle dans la nuque. La cour était maculée de sang qui stagnait des jours durant (…) Les gardes venaient chercher les condamnés par petites fournées d'une demi-douzaine environ. On savait quand les exécutions avaient lieu au bruit des moteurs de deux tracteurs que les tueurs faisaient ronfler pour couvrir le bruit des détonations des pistolets Nagan (note n°50 : I.F. Taratin, « Serpantinka », Kraevedtcheskie Zapiski, Magadan, 1992, vyp. 18, p.63.). »
Et des charniers de fusillés comme celui de Boutovo, de la Serpantinka, ou comme celui du désormais tristement célèbre charnier de Katyn, il en existe une foultitude d'autres à travers toute la Russie qui seront encore découverts au fil du temps…
D'autres exemples : le 1er juillet 1997, les corps de 1 825 détenus de l'Archipel concentrationnaire des îles Solovki (confer Sozerko Malsagov et Nikolaï Kisselev-Gromov: « Aux origines du Goulag, Récits des îles Solovki : l'île de l »enfer suivi de : Les camps de la mort en URSS »), condamnés à mort dans le cadre de « l'opération spéciale de désengorgement des camps » menée par le NKVD, furent découverts par Irina Flige et Veniamin Ioffe, dans des charniers du village de Sandarmokh. Depuis, dans ce même village, 230 autres fosses contenant les restes de plus de 9 500 fusillés ont été exhumés par ces mêmes membres de l'association Memorial.

Nicolas Werth nous rappelle également que ce n'est pas Staline qui a fondé le régime Totalitaire Communiste Soviétique. En effet, les deux véritables « cerveaux » de cette bande de Terroristes Bolcheviques (Communistes), avec la complicité de Staline, Felix Dzerjinski (chef de la Tcheka, la toute première Police Politique Communiste sous Lénine), Zinoviev, Kamenev, etc., ne sont autres que les « héros » des Communistes de toutes les générations, y compris, des Communistes d'aujourd'hui, à savoir : Vladimir Ilitch Oulianov dit Lénine, et Lev Davidovitch Bronstein, surnommé Léon Trotski. Ce sont, en effet, ces deux hauts responsables Bolcheviques qui ont mis en place le système Totalitaire Communiste mondial, suite au coup d'État militaire Bolchevique du 25 Octobre 1917, à Petrograd. Ces fondements Totalitaires comprennent : l'Idéologie Communiste obligatoire considérée comme « Vérité Absolue », l'État-Parti-Unique, la Terreur Rouge Bolchevique, la Police Politique : la Tcheka de Dzerjinski, l'Armée Rouge de Trotski, les premiers camps de concentration dont le plus grand : l'Archipel des îles Solovki, le Communisme de Guerre engendrant la Guerre Civile, l'Internationale Communiste (ou Komintern), les Komsomols (les Jeunesses Communistes), etc..
Car en effet, récemment, en 2001, après les découvertes des nombreux charniers, Irina Flige et Veniamin Ioffe firent une autre découverte monstrueuse, mais d'une importance historique fondamentale (page 166) :
« Quelques années plus tard, en 2001, Venia et Irina sont à l'origine de la découverte, à quelques kilomètres seulement de Saint-Pétersbourg, d'un autre grand charnier, celui des victimes de la « Terreur rouge » lancée, le 5 septembre 1918, par Lénine, à la suite de l'attentat dont il avait été victime quelques jours auparavant. La localisation des fosses communes du polygone militaire du « bois de Kovalev » (au moins dix mille fusillés) fut aussi le résultat de longues et patientes recherches dans les archives de la Tcheka. Découverte particulièrement importante, car elle rappelle une réalité longtemps passée sous silence, y compris durant la perestroïka : que les massacres massifs de civils n'ont pas débuté sous Staline, mais bien sous Lénine. »
Le livre se termine sur le témoignage d'une dame âgée mais encore très vaillante, Evguenia Petrovna, qui, comme Margarete Buber-Neumann (confer les références de livres ci-dessous) a été, elle aussi, déportée par le deux systèmes Totalitaires du 20ème siècle : d'abord, par la Gestapo dans le camp de concentration Nazi de Ravensbrück, puis par le NKVD au Goulag, à la Kolyma !

Toutes ces horreurs sur les camps de concentration du Goulag de la Kolyma ont déjà été largement et parfaitement bien décrites par des rescapés, comme, entre autres :
Evguenia S. Guinzbourg : « le Vertige, tome 1″ et » le ciel de la Kolyma, tome 2″ ;
Margarete Buber-Neumann : « Déportée en Sibérie, prisonnière de Staline et de Hitler, tome 1 » et « Déportée à Ravensbruck, tome 2 » ;
Alexandre Soljénitsyne : « L'Archipel du Goulag » ;
Varlam Chalamov : « Récits de la Kolyma » ;
Gustaw Herling : « Un monde à part » ;
– Etc..
Lien : https://totalitarismes.wordp..
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A l'été 2011 un récit de voyage pas tout à fait comme les autres. Un voyage vers l'enfer vers cet extrême orient russe qui fut la région emblématique du travail forcé en Union Soviétique, vers la Kolyma où un million de personnes furent envoyées.
Le Goulag fut pendant des années un réel mode de vie : ceux qui y étaient, ceux qui en revenaient et ceux qui tremblaient d'y être envoyés. Les camps du Goulag couvraient toute la Russie avec une place à part pour la Kolyma vaste région (deux fois la France) isolée de la Sibérie à quelques neuf heures d'avion de Moscou.

C'est donc sur les traces des Zek de la Kolyma que part Nicolas Werth, le voyage il l'effectue avec plusieurs russes qui sont tous membres de l'association Mémorial, une ONG russe qui tente sans aucun moyens de préserver la mémoire du Goulag et de cette période des répressions staliniennes.
ll est grand temps car les témoins disparaissent, la plupart des survivants de la Kolyma ont autour de 80 ans et les rares vestiges que l'on peut encore trouver vont disparaitre à jamais. Bientôt il ne restera rien du plus grand système concentrationnaire du vingtième siècle.

L'arrivée à Magadan le coeur de la Kolyma est un choc, la région est magnifique « entre deux promontoires maritimes » et totalement sinistrée, les bâtiments sont à l'abandon, peu de circulation, des terrains vagues, une cité lépreuse.
Le travail commence, visite du musée local à la recherches d'objets du Goulag, rencontres avec des témoins.
Cette façon d'opérer va se répéter pendant deux semaines, de ville en ville, absence de vestiges, traces effacées volontairement ou non. Les détenus arrivaient ici après des semaines dans des trains glacés, plusieurs jours à fond de cale du bateau qui marquait la fin du périple.
Les statistiques du Goulag se passent de commentaires : de 1930 à 1955 : 20 millions de soviétiques ont été envoyés dans les camps, 2 millions y ont trouvé la mort, 1 million y ont été exécutés.
Les témoignages des gardiens de la mémoire sont terribles, importants pour préserver une mémoire des faits car, au delà des statistiques qui sont maintenant connues, il y a un réel refus de se souvenir du million de personnes qui passa ici à la Kolyma.
Le voyage rend bien compte de ce que devaient être les difficultés dans ce pays au climat effrayant, en ce mois d'août la température avoisine les 2° confirmant le dicton de la Kolyma « Douze mois d'hiver, le reste c'est l'été ». ll a suffit de laisser les vestiges des camps à l'abandon pour qu'ils s'effacent du paysage.
La parole libre aujourd'hui est malgré tout difficile car comme le dit Miron Markovitch un ancien de la Kolyma âgé de 82 ans : « le Goulag, il est dans nos gènes. Il fait partie de notre patrimoine génétique »
Le témoignage d'Evguenia Petrovna qui à l'âge de 22 ans avaient déjà passé 6 années à Ravensbrück et à la Kolyma, suivant en cela le destin de Margareth Buber-Neumann

Comme un hommage le groupe va faire une halte à la Serpantinka au haut lieu des exécutions de masse pendant ce que l'on appelle la Grande Terreur d'août 37 à octobre 38, une année pendant laquelle entre six et dix mille personnes ( 750 000 pour la Russie entière). Les gardiens de la mémoire ont fait érigé un monument sur les lieux, une croix de granit, un simple plaque de marbre noir.

Un livre indispensable pour qui s'intéresse à cette période de l'histoire. Nicolas Werth l'historien a pris la route pour nous révéler cette « civilisation goulaguienne »
Un livre qui dit-il est un hommage à « l'humble obstination » des hommes et femmes qui tentent de lutter contre l'oubli.

Lien : http://asautsetagambades.hau..
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« Aujourd'hui, les dernières traces des dizaines de camps qui occupaient cette vallée s'effacent inexorablement. On n'a pas eu besoin de détruire les camps pour en effacer les traces. Il a suffi de laisser les lieux à l'abandon pour que les traces disparaissent elle-même. Les barbelés, les miradors, les briques des cachots, le bois des baraquements ont disparu, arrachés, démantelés, emportés par les habitants qui se sont tout simplement servis. On a toujours manqué de tout ici… Aujourd'hui, le paysage la Kolyma a éliminé son passé. »

Curieusement, bien qu'il soit le co-auteur de L'histoire du Goulag stalinien, en 7 volumes parus en 2004, Nicolas Werth n'avait jamais mis les pieds à la Kolyma. En 2011, il décide de combler cette lacune, de sentir la terre sous ses pieds, de voir les traces et les paysages de ses yeux, d'entendre les témoignages de ses oreilles.

« Face à ce paysage qui offre sa splendeur et dissimule son passé, je ressens un profond malaise : comment peut- on admirer le cadre d'un tel malheur, d'un tel anéantissement, d'une telle souffrance collective ? »

Accompagné de sa fille Elsa, et de deux responsables de l'association Memorial à la recherche de tous les vestiges du Goulag susceptibles d'alimenter un musée virtuel du Goulag, il a sillonné les routes construites par les anciens zeks, en voiture, en camion, en minibus. Pendant 3 semaines, il a visité les les villes désertées, les usines et mines abandonnées, les camps disparus et leurs charniers secrets . Et il a rencontré des habitants. Ceux qui n'ont jamais rien su ou voulu savoir, ceux qui ont vécu dans les camps, ceux qui y ont travaillé en tant que civils. Ceux aussi, qui, fourmis obstinées, s'attachent à en conserver le souvenir, créant des musées, recherchant des vestiges, plantant des croix ou des monuments, commémorant.

Ce livre est le récit de ces trois semaines, les faits, les échanges, les réflexions, les découvertes, illustré de quelques photos. Nicolas Werth transmettre ainsi de façon tout à fait informelle son savoir, et sa culture passionnée de tout ce qui touche au Goulag, sans oublier la littérature qui s'en est nourrie. A côté de cette description informative des évènements historiques, , il parle de l'évolution des connaissances et des points de vue sur le plus grand système concentrationnaire du XXème siècle. C''est une belle réflexion sur l'historien au travail et la mémoire en train de devenir histoire.
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Nicolas Werth est spécialiste de l'histoire du stalinisme. Des années passées à se pencher sur les archives, les livres pour, notamment, reconstituer l'histoire du Goulag. Mais aussi le souhait de voir ce qu'il reste de cet univers concentrationnaire, là-bas à la Kolyma.

Ce périple qu'il accomplira est l'objet de ce passionnant essai couronné du prix essai France télévision en 2013.

Ce récit, très accessible, montre la difficulté du travail de mémoire sur ce pan de l'histoire russe si significatif, un adulte sur 6 entre les années 1930-1950 ayant été détenu dans un camp.

Pourtant l'oubli est là. Les lieux abandonnés sont retournés à l'état sauvage, les constructions en bois détruites. Ce qui pouvait être utilisé pour des constructions, volé. Les fosses communes oubliées. La nature d'une beauté presque cruelle face aux malheurs qui s'y sont déroulés.

La région de la Kolyma sans aide économique de l'Etat russe s'est paupérisée et vidée de sa population. Autant dire que le travail de mémoire apparaît comme inutile pour beaucoup alors que le quotidien est si difficile.

Pourtant cet essai rend hommage à ces bonnes volontés qui continuent, vaille que vaille, à répertorier et à numériser ce qui concerne le Goulag, comme le fait l'ONG Memorial, ou des responsables de musées qui doivent composer avec vétusté du matériel, budget inexistant et salaire de misère.

Ou encore ces individus qui collectionnent et sauvent les souvenirs du Goulag ou érigent des croix sur les tombes des zeks…

Un bel hommage leur est rendu ici. Une façon de ne pas oublier le passé et peut-être éviter qu'il ne se reproduise.
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Le nom de Kolyma ne parle pas forcément à tout le monde. le Goulag, si. La Kolyma, c'est la Sibérie orientale, le bout du bout, la pointe nord-est du continent asiatique. A l'école, je me rappelle avoir appris qu'en Sibérie, la végétation était du type steppe ou toundra. Je me rappelle des photos de plaines enneigées à perte de vue. Des montagnes ? Pas dans ma mémoire. Pourtant, à la Kolyma, il n'y a que ça. Les monts culminent à 1962 mètres d'altitude, sous un froid de -50°C l'hiver.
Nicolas Werth, historien français spécialiste de l'URSS, souhaite créer un musée virtuel sur le Goulag. Il s'est rendu en Sibérie orientale en 2011 dans cet objectif, accompagné de sa fille et de deux spécialistes russes de la question, membres de l'association Memorial qui lutte contre l'oubli. Dans La route de la Kolyma, il raconte au jour le jour un voyage de trois semaines passé entre Magadan et Iakoutsk, sur les traces des anciens camps staliniens.
« Nous prenons la direction de « Shanghai ». A mesure que nous nous approchons, nous découvrons des vestiges d'habitat qui me rappellent la « zone » de Soutchan, petite ville de l'Extrême-Orient soviétique, dans une scène du beau film de Vitali Kanevski, Bouge pas, meurs, ressuscite : carcasses rouillées de conteneurs qui servaient de logement, baraquements en torchis défoncés mais où, les portes aux deux extrémités du bâtiment ayant été depuis longtemps arrachées, on distingue encore le long couloir central qui desservait les dortoirs. »
Entre témoignages, descriptions apocalyptiques et extraits de chefs d'oeuvres de Varlam Chalamov, Evguénia Guinzbourg et d'autres rescapés des camps du Goulag, ce documentaire donne une idée stupéfiante des conditions de vie dans la région. Trois époques y sont décrites : la période stalinienne, les quarante années qui ont suivi et la catastrophe économique intervenue rapidement après la Perestroïka.
Si les Goulags et la Grande Terreur des années 1937-38 sont au programme d'histoire dans les lycéens français, aucun soviétique né après la mort de Staline n'en avait entendu parler jusqu'en 1991. Pourtant, on estime à un soviétique sur six les adultes condamnés à cinq, dix voire vingt-cinq années de travaux forcés. Après leur libération, les survivants avaient interdiction de quitter la Kolyma. Leurs descendants sont tous nés sur place. Jusqu'à l'abandon des mines aurifères par le régime russe post-communiste de Russie Unie, l'économie sibérienne était plutôt florissante et attirait même des Russes aventuriers. Mais dans les vingt dernières années, la région a perdu 80% de sa population. Plus d'écoles, plus d'hôpitaux, plus de transports. Une mort économique, une population qui vit dans des conditions désastreuses, quelques initiatives individuelles pour perpétrer le souvenir des temps anciens, alors que des anciens camps, il ne reste plus rien.
Voilà le tableau que dresse Nicolas Werth dans cet essai passionnant. Une lecture facile, un documentaire court et efficace, une page d'Histoire à ne pas oublier.

Musée virtuel du Goulag : http://museum.gulagmemories.eu/
Lien : https://akarinthi.com/
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Citations et extraits (4) Ajouter une citation
Face à ce paysage qui offre sa splendeur et dissimule son passé, je ressens un profond malaise : comment peut-on admirer le cadre d’un tel malheur, d’un tel anéantissement, d’une telle souffrance collective ? Des innombrables camps qui s’étiraient le long de cette route, il ne reste rien ou presque – de rares baraquements et fabriques en ruine, des toponymes connus des seuls spécialistes du Goulag, indiqués par des panneaux rouillés le long de la route – Radoujnyi, Srednikan, Annouchka, Stanovaia, Gueologitcheskii, Oust-Srednikan, Verkhnii Seimtchan. Pas âme qui vive le long des deux cents kilomètres qui séparent le relais du 386ème kilomètre de Seimtchan.
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Nous bivouaquons sur l'autre rive, en face du site. Longue discussion, la nuit tombée, avec Serguei, sur Chalamov et Soljenitsyne, leur vision différente du "mal concentrationnaire". Absolu et radical, chez le premier. "Le camp est définitivement une école négative de la vie. [...] Chaque instant de la vie des camps est un instant empoisonné. Il y a là beaucoup de choses que l'homme ne devrait ni voir, ni connaître; et s'il les a vues, il vaudrait mieux pour lui qu'il meure." Relatif et pouvant ouvrir la voie à une "élévation", pour le second: du désastre concentrationnaire, pense Soljenitsyne, peut surgir l'affirmation d'une loi éthique, qui préserve l'humanité du détenu. Serguei se sent plus proche de Soljenitsyne, je serais plutôt tenté de suivre Chalamov et Primo Levi.
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Le Goulag, il est dans nos gènes. Il fait partie de notre patrimoine génétique
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Douze mois d’hiver, Le reste c'est l'été
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Vidéo de Nicolas Werth
L'historien Nicolas Werth est un grand spécialiste de la Russie et président de l'association Mémorial-France, attaché culturel près l'ambassade de France à Moscou durant la perestroïka avant d'intégrer le CNRS, est l'auteur d'une vingtaine d'ouvrages importants sur le système soviétique et les crimes staliniens. Il a de surcroît édité les carnets de guerre de son père, le journaliste britannique Alexander Werth, né en 1901 à Saint-Pétersbourg, correspondant à Moscou pour la BBC et le Sunday Times entre 1941 et 1948. Dans ce premier épisode d'une série vidéo en cinq volets, Nicolas Werth retrace l'origine sociale et la jeunesse de son père, le futur journaliste vedette du « Manchester Guardian » : Alexander Werth, né à Saint-Pétersbourg en 1901, mort à Paris en 1969.
L'épisode est à voir en intégralité ici https://www.mediapart.fr/journal/international/090822/de-saint-petersbourg-sous-le-tsar-la-france-occupee#at_medium=custom7&at_campaign=1050
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