Des ouvrages qui résument vite fait la pensée de
Henry Corbin, ça doit bien exister mais enfin, un Que sais-je spécial Corbin ça doit être frustrant pour quiconque a entendu parler de la grosse révolution philosophique qu'il apporta. Corbin reste pourtant moins connu que le bon gros Heidegger, qui l'inspira pas mal au début, et qu'il dépassa à sa manière, par une rencontre de la philosophie occidentale avec l'ésotérisme mystique islamique. Pour être un peu plus exhaustif, on peut ajouter que Corbin maîtrisait également le persan, l'arabe, l'hébreu, le sanscrit, le turc, et qu'il a traduit de nombreuses oeuvres majeures en français, ce qui nécessitait une profonde connaissance d'intuition et d'attraction.
Tom Cheetham fait bien plus qu'un vulgaire Que sais-je, exhaustif des oeuvres et de la biographie : il nous permet en outre de comprendre comment Corbin, s'inspirant du Dasein de Heidegger, voulut transmettre à l'homme occidental la possibilité d'accéder à une présence au monde qui dépasse le nihilisme, cet écueil qui fut reproché à Heidegger et qu'on retrouve aujourd'hui encore dans notre pensée moderne unilatérale.
[Corbin :] « Hegel disait que la philosophie consiste à mettre le monde à l'envers. le ta'wil et la philosophie prophétique consistent à le remettre à l'endroit. »
L'être-pour-la-mort défini par Heidegger et considéré par lui comme la réalité la plus profonde de l'homme ne constitue pas une fin pour Corbin. Ce n'est pas une réalité fondamentale ontologique mais un conditionnement historique qui se rapporte à l'ontique. Remettre le monde à l'endroit, c'est accéder à l'ontologique.
[Corbin] :« Intégrer un monde, le faire sien, implique que l'on en est soi-même sorti pour le faire rentrer en soi-même. »
La rencontre dans la langue avec l'ésotérisme islamique fut fondamentale. Wittgenstein disait que les problèmes aporistiques de la philosophie relevaient d'une erreur de langage. C'est peut-être pas faux et Corbin remarque que le passage du grec au latin s'est engendré avec de nombreuses distinctions linguistiques entre l'essence et l'existence d'une chose, ce qui ne s'est pas produit dans le monde islamique (principalement dans le soufisme et le shî'isme). Ici, la tradition gnostique du pouvoir ontologiquement transformateur de l'intellect est resté vivace jusqu'à nos jours.
[Corbin :] « La vérité de toute connaissance objective est ainsi reconduite à la conscience que le sujet connaissant a de soi-même. »
Impossible de parler de tout ça sans évoquer le parcours de Corbin. Elève d'
Etienne Gilson et de
Louis Massignon, il fut également traducteur en français de l'oeuvre de Heidegger et grand connaisseur des mystiques persans, notamment de Sohravardi, maître de l'Illumination, dans la continuité des idées relatives au mazdéisme ou au platonisme.
Tom Cheetham nous permet de comprendre leur influence dans l'oeuvre de Corbin et il se montre, pour cela, aussi pénétrant et passionné que ce dernier dans la présentation de ses principales recherches.