Un petit livre (274 pages) beau et intelligent dans la prestigieuse collection des Cahiers Rouges Grasset. (je ne reprends pas ici la quatrième de couverture déjà reproduite sur le site). La jaquette glacée s'orne d' un tableau de Pablo Picasso, "Homme écrivant", l'impression est soignée. Un plaisir de lecture complet. Un prix égal à celui de tas d'autres livres beaucoup moins élaborés.
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Extrait du Memorandum de Barbey d'Aurevilly, 3 Août 1836, Paris.
Je m'en vais recommencer un journal, cela durera le temps qu'il plaira à Dieu, c'est-à dire à l'ennui, qui est bien le dieu de la vie. Quand je serai las de me regarder, je fermerai ce livre et tout sera dit. Pourquoi ne se débarrasse-t-on pas aussi facilement de soi-même, cet inexorable quelque chose qui est malgré lui-même, car le suicide nous débarrasse-t-il entièrement ? Qui le sait ? Le "sommeil" sans rêves que souhaitait Byron n'était pas une réponse à l'angoissée question de Shakespeare. La lâcheté humaine s'est accroupie derrière Dieu.
Depuis mon dernier journal que j'écrivais en voyageant, il y a un an à pareille heure, qu'est-ce que j'ai fait et que suis-je devenu ? Si j'avais écrit l'emploi de mes jours et les deux ou trois évènements qui sont déjà un passé furieusement enfoncé dans le gouffre des choses, et ce que ces évènements ont produit en moi ou m'ont arraché, ce serait une assez longue et triste histoire dont je ne conseillerais la lecture à personne, pas même à moi maintenant. Il est des ruines que personne ne voit achever de tomber, des chutes silencieuses. Ce n'est que longtemps après qu'on s'aperçoit qu'il n'y a plus rien où il y avait une existence et que le vide a englouti les atomes du dernier débris.
Extrait du Journal d'Eugène Delacroix, 1er janvier 1861
La peinture me harcèle et me tourmente de mille manières à la vérité, comme la maîtresse la plus exigeante ; depuis quatre mois, je fuis dès le petit jour et je cours à ce travail enchanteur, comme aux pieds de la maîtresse la plus chérie ; ce qui me paraissait de loin facile à surmonter me présente d'horribles et incessantes difficultés ; mais d'où vient que ce combat éternel, au lieu de m'abattre, me relève ; au lieu de me décourager, me console et remplit mes moments, quand je l'ai quitté ? Heureuse compensation de ce que les belles années ont emporté avec elles ; noble emploi des instants de la vieillesse qui m'assiège déjà de mille côtés, mais qui me laisse pourtant encore la force de surmonter les douleurs du corps et les peines de l'âme !
Fin de la préface d'Arthur Chevallier :
Les anecdotes et les révélations contenues dans ces journaux intimes sont certes fascinantes ; il n'y a rien d'étonnant à ce qu'un lecteur se passionne pour les informations données par un écrivain sur sa propre vie. C'est une forme de voyeurisme. Au contraire, quand un auteur note, dans son journal, des idées à propos d'un livre, d'un tableau ou d'un morceau de musique, qu'il a lu, vu ou écouté tel ou tel jour, le plaisir éprouvé par le lecteur est d'un autre ordre : il regarde un écrivain regarder le monde. Et ça suffit. Par exemple, Memoranda de Jules Barbey d'Aurevilly n'est parfois qu'un journal d'idées. Il arrive à l'auteur de ne rien noter de son quotidien, ni ce qu'il fait ni les personnes qu'il rencontre, et d'évoquer, pendant plusieurs pages, un tableau du Musée de Caen. Parce qu'il est Barbey d'Aurevilly, ces considérations ont une importance. Passer du temps avec lui nous suffit. Peu importe ce qu'il raconte. Voilà la preuve qu'on ne lit pas des livres, mais des écrivains.
Berlin, dimanche 22 octobre 1922
En Italie, les fascistes se sont emparés du pouvoir par un coup d'état. S'ils le gardent ce sera un évènement historique aux conséquences imprévisibles, non seulement pour l'Italie, mais aussi pour toute l'Europe.
( Comte Harry Kessler)
Avec Michel Vergé-Francheschi, Arthur Chevallier
Surcouf né sous Louis XV, mort sous Charles X traverse de 1773 à 1827 la Révolution et l' Empire. Malouin d'origine normande, il est l'un des corsaires les plus célèbres après Jean Bart et Duguay Trouin. Franc maçon mais capitaine négrier. Marin absent à Aboukir et Trafalgar. Homme des Lumières apparenté aux frères Lamenais. Roturier mais gendre d'anobli, il est homme des contradictions. Jeune homme il rêvait de gloire et de fortune. Mort à 54 ans il a rempli ses objectifs au delà de toutes ses espérances.