De la terreur, c'est ce qui ressort de cette lecture. J'ai aimé cette plongée croissante dans l'horreur, des premiers bains de sang remontant à plus de 250 ans avant Jésus Christ jusqu'aux années 2010, on suit l'évolution de ce domaine qui s'enfonce petit à petit, au fil des malheurs qui s'accumulent sur le manoir, dans une malédiction dont personne ne semble pouvoir se sortir. La seule chose de certaine, c'est que cela ne donne absolument pas envie de se porter acquéreur du terrain et de l'immense demeure qui y fut construite, désormais abandonnée.
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Après avoir parcouru bien des endroits de par le monde, ayant pris des risques insensés pour ce faire, j’atteindrai demain le lieu qui a recueilli pendant tant d’années les angoisses et l’effroi de bon nombre de gens à travers l’Histoire.
Je me suis réfugié dans une petite chambre pour passer la nuit à l’abri. Le village dans lequel je suis arrivé attise mon épouvante. Il est au cœur des récits que j’ai pu parcourir toutes ces années, et il jouxte la forêt que je devrai bientôt arpenter. Maintenant je comprends pourquoi tout ce que j’ai pu lire, voir, analyser comme documents affirment que cet endroit recueille plus de mal que tout autre lieu sur cette planète.
Je sais que je vis les dernières heures de mon existence. J’écris à la lueur d’une bougie, face à la fenêtre. Je vois, au-dessus de la canopée sans vie, poindre une lune rouge sang. Elle annonce de nombreuses morts. Parfois, alors que ma plume crisse sur le papier, j’entends le hurlement de quelques bêtes que je ne voudrais voir. Elles ne viennent pas pour moi, mais naissent dans ces contreforts damnés pour un peu plus infecter notre univers.
Je m’appelle Kahmsa An-Nasir. Vous ne trouverez que peu de chose à mon propos dans ce livre. Cependant certains passages vous initieront à ce qu’accomplit ma famille il y a fort longtemps. Sachez que notre destin a, depuis toujours, été intimement lié à ce qui réside dans cette forêt. J’aurais pu vous expliquer qui je suis, mais cette information ne vous sera guère utile si vous lisez ces lignes. Je peux seulement vous affirmer que je suis l’un des derniers remparts de l’humanité opposé à ce qui s’est érigé contre nous
Demain à l’aube, avant de partir affronter Wakehurst et son manoir, je laisserai mon journal sur ce bureau comme seul témoignage de ce que je fus. C’est pour cette raison que vous tenez ce fascicule entre vos mains. Si j’ai vaincu, vous pourrez faire ce qui vous semble juste et bon avec cet ouvrage. Vous pourrez croire ce que j’ai écrit ou penser que ce texte n’est qu’un tissu de fadaises. Peu m’importe que je sois adulé ou qu’au contraire on pense de moi que je ne fus qu’un dément. Si j’ai échoué, alors gardez précieusement ce manuscrit pour qu’il vous aide à lutter contre le mal qui s’avance. Il y a encore bien des gens sur cette Terre qui connaissent les rites pour s’adjoindre quelques forces utiles dans la guerre qu’il vous faudra mener. En dernier ressort, si vous êtes la bête, alors je pleure sur le sort des hommes, et je n’ai qu’une chose à vous dire : que le Diable vous emporte !
J’ai passé vingt longues années à réunir les histoires les plus significatives à propos de Wakehurst. Ce travail m’a demandé beaucoup de ressources et a failli maintes fois me coûter ma salubrité mentale. Il ne fut pas rare que je ressente les forces de l’au-delà lorsque j’alignais les mots ou collais les photos dans ces pages. Si je ne puis l’emporter, peut-être vous permettra-t-il, à vous, de trouver un moyen d’annihiler les créatures qui s’avancent dans les ténèbres.
Avant d’arrêter d’écrire, car cet endroit force ma raison, je veux que vous sachiez par-dessus tout, bien que je ne vous connaisse pas et que je ne vous connaîtrai jamais, que nous n’avons jamais partagé un repas, un rire, une larme, un baiser, mais que simplement et sans arrière-pensée je vous aime. C’est sans doute la dernière émotion qui me tient vivant à Wakehurst.
Kahmsa An-Nasir
PS : si vous êtes la bête, j’ai introduit, sous la couverture de ce livre, un sortilège qui vous retiendra prisonnier. Je sais que ce n’est pas grand-chose et que cela ne vous vaincra pas, mais cela aura au moins le mérite de vous ralentir.
Il nous fallut trois heures de voyage avant d’atteindre Wakehurst. La demeure était magnifique et tout à fait pensée pour résister à l’assaut des ennemis de la couronne — bien que je doutasse qu’un ennemi ose un jour affronter les contreforts de cette nature maudite.
Je vous passerai les détails de notre installation, mais je peux vous garantir que nous nous trouvâmes mal dès que nous arrivâmes, même si nous jouissions de tout le confort dont nous pouvions rêver. Olivia nous réveillait chaque nuit en nous disant qu’il y avait des monstres tapis dans la forêt. Ils voulaient entrer dans la maison. Nous lui dîmes que c’était impossible, mais elle insistait et se mettait à pleurer bruyamment. Elle nous affirmait que c’était le prince Bellovèse qui menait cette horde. Étrange nom que celui-là. Nous regardâmes dans des livres relatant l’époque celte, mais nous ne trouvâmes aucun nom ressemblant de près ou de loin à celui-ci.
Nous fîmes venir un pasteur. Il fut mal à l’aise dès les premières minutes passées ici. Bien qu’il fît grande prière, il partit les yeux révulsés par la folie. Notre fille, elle aussi, s’enfonça peu à peu dans la démence. Elle nous affirmait désormais que des enfants — elle précisa qu’ils étaient habillés comme les villageois de Bodmin — dansaient la nuit en de grandes farandoles autour de la demeure.