Le Berger
Il fut le premier astronome.
Au moment où s’éveillait le monde, il conduisait déjà ses troupeaux à travers les plaines.
Déjà, il ne craignait pas le ciel, sachant y lire le mouve-ment quotidien des constellations.
Déjà, il savait entendre le chant des oiseaux, la palpitation de l’existence craintive du lièvre couleur de terre. Déjà, il se sentait fraternel avec tout ce qui subit la dure loi de la subsistance.
Sa confortable personne enfoncée dans le fauteuil de velours rouge, installé à la mairie pour son usage personnel, M. le Maire venait de prononcer des paroles qu’il jugeait définitives.
— Ce maître d’école qui nous arrive, je ne sais d’où, est vraiment trop jeune. J’ai défiance de ces cadets. Ils pensent mieux agir que les anciens et n’acceptent aucune contradiction des gens raisonnables et d’expérience.
Des voix approuvèrent :
— La jeunesse a une tendance fâcheuse à l’indépendance, déclara le charron Conseiller Municipal à qui M. le Maire faisait réparer ses chariots et commandait des roues neuves.
— Cet étranger est du Midi, alors que nous sommes du Nord, émit M. le Conseiller Municipal laitier, qui achetait le lait des vaches de M. le Maire.
— Pour accepter de s’enterrer dans un trou comme Vilnave, il ne faut point être très savant, bougonna l’épicier Conseiller Municipal, qui tenait à la clientèle de Mme la Mairesse.
— D’ailleurs, il a un nom extraordinaire, un nom qui n’a pas l’air vrai, s’exclama le charcutier Conseiller Municipal qui traitait avec M. le Maire de ventes et d’achats de bétail.
Tandis que le Conseiller Municipal, ex-marchand de grains retiré du négoce, qui avait des visées sur la fille aînée de M. le Maire objectait :
— Tout ceci ne me paraît pas clair.
Seuls, le Conseiller Municipal boulanger et le Conseiller Municipal laboureur, défendirent le nouveau maître, osant sou-tenir que l’on ne peut juger quelqu’un avant de l’avoir vu à l’œuvre, et que la tâche d’enseigner l’arithmétique, l’histoire et la géographie à des gamins turbulents, n’est point si aisée, qu’il faille se montrer hostile, sans le connaître, à qui doit s’en charger.
La discussion s’échauffa, menaça de tourner mal et dura longtemps. Mais les vacances se terminaient. Force fut aux entêtés de convenir qu’il n’était plus temps de demander un autre instituteur. On s’accommoderait de celui-ci, quitte à surveiller ce qu’il en adviendrait.
— Et nous serons vivement fixés, conclut M. le Maire.
L’Instituteur
Dickens le dit et le dit bien.
Ce ne sont pas de petites cruches à emplir. Ce sont de petits hommes et de petites bonnes femmes à cultiver pour l’avenir.
L’Instituteur et l’Institutrice le savent à merveille.
Aussi savent-ils, pour cela, que leur métier est le plus beau qui soit.
Eux, les petits enfants, ne le savent pas tout de suite. Mais les petits hommes devenus grands, les petites bonnes femmes devenues grandes, s’en aperçoivent et ne l’oublient plus jamais.
Le Cuisinier et le Cinéaste
L’un est le plus vieux du monde.
L’autre est très jeune.
En même temps que le feu, le cuisinier naissait. Et la sauce commença à faire passer le poisson.
Casserole en main, le cuisinier ressembla au poète empoignant sa lyre.
Pourquoi pas ? Un bon mets vaut mieux qu’un méchant sonnet.
De tout l’univers, parviennent dans la cuisine, les bêtes tuées, les légumes fleurant encore la terre, les fruits de tous les vergers.
Le Cinéaste court au devant de tous les spectacles du monde. Il les cueille, les assemble, les assaisonne.
Un bon film, est un régal pour les yeux.
L’Aviateur, le Cheminot et le Forestier
Vite, vite, plus vite, où cours-tu, locomotive affolée ?
Haut, haut, plus haut encore, où montes-tu, avion ?
Prétendez-vous dépasser le vent, vaincre le temps à la course ?
Vite, vite, plus vite, Cheminot !
Haut, haut, plus haut, Aviateur !
Homme pressé, où iras-tu demain ?
Doucement, doucement, le Forestier marche, s’arrête, regarde, écoute.
Et le monde, c’est peut-être lui qui saura le découvrir.