Après le superbe 'la retraite aux flambeaux" (voir ma récente critique, excusez pour ma pub), j'ai relu avec plaisir "le carcajou" du grand Bernard Clavel.
L'auteur, qui a si justement et si courageusement écrit sur l'anti-militarisme, nous livre ici de belles pages sur son autre passion, les terres boréales glacées et la nature sauvage.
Deux couples de vieux indiens du grand nord, Waboos, sa femme Nika, Mooz et sa femme Papigan, accompagnés de leurs trois chiens, Skouté, Kino, Wibatch, s'en vont chasser dans les grandes étendues gelées de la taïga, terres de leurs ancêtres. Ils sont vieillissants, et constatent la dégradation de l'environnement...les chasses et pêches sont pauvres, il faut aller toujours plus loin pour tirer les fruits de leurs efforts.
Mooz tombe malade, on craint pour sa vie...tandis qu'ils découvrent les traces de ce qui doit être un carcajou, animal féroce, voleur et rusé. Le carcajou est pour les indiens le symbole du Mal, et quand il met en pièce le pauvre Kino, Waboos va partir le traquer avec son fidèle Skouté, laissant les autres au camp...
Au bout de l'effort, du froid et de la faim, parviendront-ils à exterminer la bête, et à quel prix ?
Quel plaisir à nouveau de retrouver tout ce qui a fait l'immense talent littéraire de Bernard Clavel, et son succès, car ses livres remportaient toujours un énorme succès de librairie à leur sortie !
Le style est concis, précis, et s'il peut apparaître parfois sec (les dialogues notamment, mais c'est réaliste, les héros ne sont pas des urbains bien au chaud), cette sensation est éphémère et contre-balancée par l'apparition régulière de courts chapitres intercalés, en italique : une voix s'y élève avec poésie pour nous dire ce qu'est cette terre, ce qu'elle est depuis des siècles, depuis la nuit des temps, ce qu'elle est devenue, meurtrie par l'arrivée des blancs. Cette voix, est-ce l'auteur, sont-ce les esprits des Indiens, ou même la terre elle-même, qui se meurt doucement ?
On retrouve toujours la notion de puissance du destin, un sens du tragique, où l'expression du malheur ne s'étale pas dans le pathos mais s'exprime dans la pudeur et l'acceptation des coups du sort.
Formidable ode à la nature, au grand nord que Bernard Clavel a su si bien mettre en valeur dans ce livre, après sa fresque du "Royaume du Nord" quelques années plus tôt.
Il faut peut-être préciser que le carcajou est l'un des autres noms du glouton, drôle d'animal qui ressemble à la fois à un ours en plus petit, à museau allongé, aux crocs impressionnants, à la queue longue et fournie, aux pattes puissantes et palmées. Il est assez étonnant, et d'une férocité incroyable, pouvant s'attaquer à de gros ours, aux chiens, à l'homme. Cet animal est discret (même si d'après l'auteur, son urine est pestilentielle), peu filmé, mais il existe bien entendu, ce n'est pas une légende.
Enfin, j'en profite pour le réécrire ici, et c'est un appel, soyons fou, aux éditeurs, et notamment aux éditions Pocket et Omnibus qui avaient publié les oeuvres de Bernard Clavel : à quand des rééditions, alors que ses titres sont quasi tous épuisés aujourd'hui !!! Ce serait un véritable scandale de laisser sombrer dans l'oubli, car cela vient vite, je le crains, un auteur français aussi attachant, véhiculant tant de belles valeurs humaines, et en plus très prolifique. Merci d'avance !!!
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Ce court roman ne m'a pas complètement convaincu bien que l'écriture soit irréprochable et que l'histoire soit digne d'intérêt. Les aventures de ces quatre autochtones (pas des Indiens . . .) dans les confins de la taïga sont plutôt crédibles, sauf la finale qui ne correspond en rien à cette culture. D'ailleurs l'apport des femmes dans le récit dénote une conception européenne plutôt que de correspondre aux pratiques des Premières Nations. le discours des protagonistes à l'égard des jeunes de leur communauté et envers les Blancs est plutôt geignard et sans nuance. Par contre j'ai bien aimé la description des grands espaces et du froid omniprésent qui détermine le possible et l'impossible. de même le comportement des animaux ainsi que les références mythologiques m'ont intéressé. En somme une lecture plaisante malgré une certaine naïveté quant aux aspects culturels de ces 'Indiens”.
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Il faut beaucoup de temps pour effacer les laideurs apportées par les hommes. Les blancs viennent certainement des contrées où l'on a oublié que la terre est la mère de tout et que sans elle les hommes comme les animaux vont mourir. Ce qui est important, ce n'est pas que la terre contienne des richesses au fond de sa nuit, ce qui compte, c'est qu'elle nourrisse et abreuve les plantes, c'est qu'elle porte les bêtes nécessaires à la vie des hommes. Ce qui est essentiel, ce sont les rivières où coule le sang de la taïga. Ces rivières que les hommes du Sud voudraient enfermer dans les prisons de ciment. Comme si on pouvait enfermer le vent. Comme si on pouvait enfermer l'âme de la terre.
(le carcajou)
Il est plus intelligent que bien des hommes.
Il dévore tellement qu'en certains pays on le nomme le glouton.
Il est le plus audacieux de tous les mustélidés.
Seuls les loups, lorsqu'ils sont en très grand nombre, peuvent venir à bout de ce rusé féroce et très batailleur.
Le carcajou, c'est le diable.
La grande terreur des trappeurs, c'est de la savoir dans la forêt car rien ne lui résiste.
Le carcajou, c'est le diable invisible.
La mort dans la taïga est douce à ceux dont les os s'enfoncent lentement dans son sol spongieux. Ils nourriront les mousses et les lichens. Leur âme montera dans le coeur des épinettes où ils vivront la vraie vie. Celle du silence. Celle dont rien ne vient troubler la nuit.
Et les étoiles du ciel d'hiver s'accrochent aux branches où luisent les larmes pétrifiées des âmes mortes.
Quand le froid est très intense et la neige épaisse, il fait une bonne chaleur à l'intérieur du wigwam.
Les peaux qui le recouvrent sont épaisses.
La neige s'accroche aux poils et double l'épaisseur.
Les jeunes n'aiment plus dormir sous cet abri qui vient du fond des âges.
Les jeunes ne vont plus guère en forêt, mais, lorsqu'ils se décident à y aller, ils préfèrent au wigwam leurs tentes modernes........
Elles ne sont pas faites avec ce qui vient de la taïga.
Le vent ne peut pas leur parler le même langage.
D'ailleurs, combien de jeunes peuvent-ils encore comprendre vraiment ce que raconte le vent ?
Ainsi les barrages vident de sa vie la forêt où les Indiens ont vécu depuis la nuit des temps sans jamais demander l'aumône aux hommes blancs. En tuant la forêt, les grands barrages ont tué l'âme indienne. Ils ont privé les vrais hommes de leur dignité. On n'achète pas l'âme d'un peuple avec de l'argent. Si un peuple accepte de se vendre pour des billets de banque, c'est que son âme est vraiment noire. Et l'âme des Indiens est lumière.