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Stéphane Corcuff (Autre)Stéphane Corcuff (Autre)
EAN : 9782360572724
288 pages
Asiatheque (03/02/2021)
4.35/5   10 notes
Résumé :
A l'heure d'une crise mondialisée où la voix singulière de Taiwan commence à se faire entendre, le recueil de nouvelles Taiwan, Démocratie ! permet aux lecteurs francophones de comprendre les trajectoires historiques et sociales de cette île dont la situation détonne dans le concert des états-nations du monde. La littérature apparaît ainsi comme un média privilégié pour voir ce que l'expérience taïwanaise a à offrir au monde. A l'heure où la prise de parole est souv... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
Elles sont rares les initiatives littéraires qui tentent à la fois de concilier découverte d'une culture, d'un système politique, d'une histoire…le tout à travers la fiction.
Pourtant, c'est cette ambition qu'affiche Formosana, recueil de neuf nouvelles publiées aux éditions L'Asiathèque (à qui l'on doit déjà le magnifique Perles de Chi Ta-wei) qui vous proposent de retracer une partie de l'histoire singulière de Taiwan pour dresser le tableau complexe de cette démocratie « expérimentale ».
Encadré par l'excellente préface de Stéphane Corcuff et la non moins excellente postface/synthèse de Gwennaël Gaffric (également responsable de cette anthologie et des textes retenus), Formosana emmène le lecteur français à l'autre bout du globe à la découverte d'une île unique au monde.

Après une chronologie bienvenue s'étalant de 4000 avant J.C à 2020, nous plongeons dans neuf textes courts qui, chacun à leur façon, permettent un regard différent sur l'histoire taiwanaise, une île tiraillée entre ses relations complexes et souvent tendues avec la Chine continentale d'une part et avec la communauté internationale d'autre part. Tout commence par le texte de Walis Nokan où le vieux Liu veille au grain sur une statue de l'ancien président-dictateur Chang Kaï-chek que les élèves de l'établissement doivent impérativement saluer une fois à proximité. le zèle du vieillard confine au pathétique dans une nation qui commence à remettre en cause le règne de terreur de l'ancien responsable de la République de Chine. Lorsqu'il surprend deux autochtones qui ne respectent pas la sacro-sainte règle, il se fait donc un plaisir de les emmener voir le directeur pour les remettre dans le droit chemin. Une occasion pour Walis Nokan de tirer le portrait d'une vieille garde totalement formatée face à des autochtones opprimés, ignorés et carrément effacés (avec de nouveaux noms chinois pour faire bonne mesure !). Étrangement, le lecteur ne ressent pas tant de la colère envers le vieux Liu que de la compassion devant cette relique d'un passé autoritaire en train de mourir et que de moins en moins de gens prennent au sérieux.

Cette réflexion sur la passation de pouvoir, sur le jeu des générations et l'évolution du système politique à Taiwan sera l'un des thèmes les plus importants du recueil. On le retrouvera par exemple dans La nuit du repli de Chou Fen-ling au cours de laquelle un père et un fils tente de se comprendre mutuellement à l'occasion d'une occupation étudiante du Parlement à l'encontre des accords économiques entre la Chine et Taiwan. Non seulement Chou Fen-ling guide le lecteur à travers une révolution populaire mais il illustre aussi ce changement de paradigme et cette secousse sociétale par un aspect intimiste avec l'opposition entre Fang Chung, ancien démocrate largement tombé à droite pour des raisons économiques (comme souvent), et son fils Fang Kang, étudiant révolutionnaire qui veut changer son monde et qui ne comprend forcément plus son père. L'idée s'insinue au cours du récit que chaque génération a des combats différents à mener que la précédente et que le Mouvement des Tournesols de 2014 était le fait d'arme des jeunes et pas des vieux repentis du KMT. La compréhension de la lutte est d'autant plus difficile que Fang Chung se heurte de façon imprévue à la découverte de l'homosexualité de son fils, une homosexualité qui, au fond, dérange. Aussi bien à l'échelle du mouvement étudiant où les représentants LGBT se contentent de l'arrière-plan pour rester consensuel qu'à l'échelle individuelle où l'homosexualité est d'autant mieux acceptée qu'elle ne touche pas « sa propre famille ».

Une acceptation en demi-teinte de l'homosexualité évoquée à nouveau dans la fabuleux texte de Lay Chih-ying : Libellule rouge. Véritable merveille, cette nouvelle ose un monologue introspectif d'un étudiant en médecine en pleine séance de dissection d'un corps qu'il sait être celui de son cousin qu'il a tant aimé et qui s'est fait arrêter et torturer par le pouvoir en place avant que son corps ne soit donné comme un vulgaire cadavre à la faculté. Mélangeant le macabre de cet effeuillage chirurgical aux sentiments de tristesse et d'amour à peine contenus d'un narrateur qui se souvient de la sensibilité et de l'humanité de l'être aimé, Libellule rouge évoque à la fois l'horreur de la Terreur Blanche et le secret (obligé) de l'homosexualité pour survivre. À la fois poétique, dérangeant et engagé, le récit de Lay Chih-ying s'impose comme un véritable chef d'oeuvre. L'attachement du recueil à l'intime se retrouve dans quasiment chaque texte et ce n'est pas Fleurs dans la fumée de Yang Chao qui fait exception. Un texte poignant qui narre la rencontre entre une petite fille dont le père est mort suite aux représailles des Continentaux lors des émeutes du 28 février 1947 et d'un homme dont la femme a péri dans les mêmes évènements. C'est ici la rencontre de deux deuils, de deux blessures, qui rapprochent à la fois les Continentaux et les Insulaires, qui complexifie les deux camps et permet de comprendre que les victimes se comptent des deux côtés, bref que rien n'est aussi simple qu'il n'en a l'air…et que briser les barrières de haine peut parfois servir le futur !

Difficile à ce stade de ne pas évoquer un des autres textes marquants de cette anthologie avec 1987, une fiction de Lai Hsiang-yin qui explique la fin d'une époque avec la levée de la loi martiale sur l'île. Encore une fois, nous voici dans un changement de paradigme, une passation de pouvoirs et de souvenirs entre les générations. À travers un exercice fictionnel double, celui de la narratrice qui explique sa propre prise de conscience politique et celui de l'écrivaine qui apprend à raconter l'existence et le malheur, Lai Hsiang-yin nous offre une vision tout à fait remarquable et pleine de subtilités d'une société taiwanaise en pleine mutation, désormais capable de regarder son passé et d'en parler librement. C'est aussi l'exercice de la fiction, son rôle cathartique et fondateur qui permet de dérouler les évènements et de leurs donner un sens. Un vrai bijou.
Côté travailleur, citons le court mais brillant Les Titi de Chen Yu-hsuan où l'auteur dresse un portrait singulier et dur des couturières immigrées sur l'île de Taiwan, que l'on déshumanise et que l'on exploite sans vergogne, le made in Taiwan en prend pour son grade. Pourtant, c'est aussi un exercice d'humanité qui parvient, sans utiliser de noms, à redonner une identité à celles qui n'en ont pas.

Les marginaux ne sont jamais en reste dans Formosana, Mon frère le déserteur de Wuhe le prouve brillamment dans un exercice d'écriture qui convoque un comique de répétition et une virulente charge anti-militariste et anti-autoritariste à travers l'histoire de deux frères qui fuient le service militaire chacun à leur façon. On y retrouve cette île-miroir de la Chine Maoïste où l'on embrigade la jeunesse et où l'on se prépare sans cesse à la lutte en tentent de débusquer les déviants politiques… C'est aussi l'occasion de rappeler le ridicule de l'organisation militaire et la bouffée d'air frais représentée, justement, par les marginaux.
Dans le Cabiaï, c'est également une histoire de militaires, enfin presque. L'histoire imaginée par Huang Chong-kai s'intéresse à la déclaration de guerre d'un président taiwanais un peu trop confiant à une Chine qui n'attend certainement que ça. Dans ce texte doux-amer et inattendu, la drôle de guerre prend le pas sur les armes, l'affrontement est informatique et économique plutôt que physique. Mais ce qui est comique ici, c'est que notre héros lui n'a qu'une chose en tête : voler un Cabiaï, sorte de gros rat local, qu'il veut soustraire au zoo pour son propre usage personnel. L'illustration parfaite d'une population taiwanaise résiliente en diable et presque aussi apathique que le gros rongeur sus-cité.

Impensable, bien entendu, de ne pas terminer cette chronique sans dire un mot de la dernière nouvelle, L'homme aux yeux à facettes de Wu Ming-yi. Flirtant avec le fantastique, le récit nous embarque aux côtés d'un homme obsédé par les papillons depuis son plus jeune âge et qui tente, par tous les moyens, de percer le secret de leur migration. À travers sa relation avec son oncle puis sa collaboration en vue d'un éco-tourisme responsable, le vieil homme nous raconte sa vie avec une tendresse et une lucidité rare, mêlant nature-writing et réflexions anthropologiques sur la façon de percevoir notre environnement et les animaux qui l'habitent. D'une immense poésie, le texte de Wu Ming-yi invite à changer de regard et à revoir nos critères, un peu à la façon de ces générations successives de taiwanais qui ont fait et continuent de faire l'histoire démocratique et sociale de leur île.

Remarquable objet littéraire, politique et historique, Formosana offre une vision saisissante et fascinante de la société taiwanaise et de sa démocratie à travers neuf textes touchants et hautement humains. Une immense réussite, un indispensable pour tous ceux qui veulent découvrir d'autres horizons et d'autres voix que celles de l'Occident.
Lien : https://justaword.fr/formosa..
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Parlons de Formosana : Histoires de démocratie à Taïwan. Une anthologie vitrine du processus de démocratisation sur l'île. Un recueil coup de pied face à une Chine autoritaire et menaçante. Un recueil dont la beauté réside en la défense d'une démocratie en permanente danger, ancienne dictature. Des histoires qui suscitent l'envie de lutter pour protéger des libertés acquises dans un pays si lointain, alors que nous sommes nous-mêmes habitants d'une démocratie malade. Plus qu'une chronique sur les histoires racontées, parlons de Taïwan et de sa démocratisation.
Le processus de démocratisation à Taïwan
Taïwan est au coeur des enjeux géopolitiques dans ce premier quart du XXIe siècle. Ce pays que seuls quelques autres États reconnait inspire les démocraties occidentales. Pourtant, avant d'être la démocratie qu'elle est aujourd'hui, Taïwan fut d'abord une dictature avec loi martiale. le processus de démocratisation qui s'est lancé depuis la fin des années 60 est sans doute à son apogée aujourd'hui. Ce processus a ouvert le yuan législatif aux sans partis (1969), puis a permis la création d'autres partis (comme le DPP) (1986), a ouvert l'élection présidentielle au suffrage universel (1996), a mis fin à la domination politique du Kuomintang (ancien parti unique) (2000), jusqu'à avoir la toute première femme présidente de son histoire (2016). Taïwan s'impose en tant que contre-modèle de la Chine, dont Xi Jinping est au pouvoir depuis 2013 d'un pays dont les libertés sont réduites, les censures fortes et la démocratie inexistante. Taïwan exergue sa démocratie, recherche le soutien des puissances occidentales car la Chine considère idéologiquement que Taïwan a toujours fait partie d'elle. Alors que Hong-Kong et Macao ont intégré le giron de la Chine sans qu'elle en respecte les promesses de liberté, Taïwan se sent encore plus menacée.

Un recueil témoin d'une démocratie en danger
Formosana : Histoires de démocratie à Taïwan est une anthologie (un recueil de nouvelles) qui a pour objectif de nous faire comprendre cette démocratisation taïwanaise. Ce recueil nous immerge à travers des histoires fictives, lourdement inspirées par la vie des auteurs, leur éducation ou leur militantisme. Au-delà du plaisir que peut en tirer le lecteur, soulignons l'aspect historique de l'ouvrage. Il s'agit en effet là comme d'un recueil précieux, qui peut-être sait-on jamais si la Chine arrive à détruire la démocratie taïwanaise, sont de précieux souvenirs d'un modèle de démocratie. Avant que ce ne soient des souvenirs, peut-on décrire ce recueil comme un appel à l'aide ? D'heureux témoignages ? Quoi qu'il en soit, Formosana (Formos étant l'ancien nom de Taïwan) est un livre plein de poésie démocratique.

Formosana est un recueil de nouvelles qui m'a parfois transporté et marqué, parfois ennuyé. Alors que j'étudie Taïwan ces derniers temps, j'avais envie de me plonger dans sa littérature. L'ouvrage par sa promesse de découvrir l'île à travers de nombreux auteurs qui placent leur histoire dans le processus de démocratisation m'a séduite. Il faut bien imaginer que le recueil est construit ainsi : chronologiquement, les fictions débutent avec des personnages encore fort empreints de la dictature… puis plus on avance, plus les histoires relatent la jeunesse taïwanaise d'aujourd'hui. On y lit bien sûr un changement de paysage, de cadre.

Une continuité chronologique : vers la démocratie
Dans les premières histoires, les personnages sont marqués par l'ordre imposé, par le cadre militaire, par les libertés réduites. On retrouve ainsi la drôle histoire d'un homme dont la seule mission est de veiller à ce chaque élève de son établissement célèbre la statue de Tchang-kaï shek. Ce fidèle du dictateur la considère comme la mission de sa vie, tandis que les jeunes gamins ont toujours cru qu'il fallait saluer ce monsieur plutôt que la statue. À quoi bon saluer une statue ? L'histoire raconte avec humour ce décalage générationnel entre ceux qui ont vécu la dictature, l'ordre moral, le culte de la personnalité et une jeunesse plus libre et moins aux ordres. Une autre histoire est marquante, comme celle de deux frères déserteurs, refusant la conscription. Une autre, plus intrigante et même déroutante, relate l'histoire d'un homosexuel qui doit disséquer son cousin, mort lors d'une rébellion contre le régime, et qui était son amant. La dissection doit se faire sans qu'il ne montre aucun sentiment, au risque de lui-même se mettre en danger devant ses camarades et professeurs qui l'observent.

Les histoires finales sont différentes des premières. Les sujets sont les jeunes taïwanais qui ont pour coeur à défendre la démocratie, ou qui n'ont connu que ce régime-là. On suit ainsi l'histoire d'un père proche du Kuomintang, donc proche de la Chine continentale. Il est en décalage politique avec son fils qui fait une grève de la fin lors du Mouvement des Tournesols en 2014 en occupant le yuan législatif. Toute l'histoire s'attache à nous expliquer cette rupture entre le père et le fils, ce décalage générationnel, entre un vieux père âgé, militant et expérimenté et un jeune plein d'espoir et de vivacité. Encore une autre sinon, beaucoup plus fictive mais intelligente. L'histoire raconte que le dirigeant de Taïwan déclare lui-même la guerre à la Chine. Plutôt que de se préoccuper de la guerre imminente, nous suivons un trio de personnages occupé à voler un drôle d'animal dans un zoo et de squatter – comme tant d'autres – les cafés. Délirant presque, mais pas totalement. L'histoire fait part d'un autre sentiment à Taïwan. Celui sans doute de l'inévitable. La jeunesse sait qu'elle ne pourra rien faire, donc elle se laisse faire, se contente de profiter du moment présent. Une histoire à contre-courant des autres où les militants se battaient pour la défense de la démocratie. Mais une histoire qui rend Formosana intéressant en multipliant les différents portraits.

Bilan sur Formosana
Sans être exhaustif, d'autres histoires furent marquantes. Certaines racontent la vie et les discriminations subies par les autochtones, ou encore le travail industriel de jeunes femmes dans les usines qui nous font penser à nos histoires occidentales des XIXe-XXe siècles. Certaines ont des thèmes attirants mais avec trop de longueurs, la toute dernière nouvelle raconte l'aventure poétique d'un amoureux des papillons et l'essor de l'écotourisme à Taïwan… En bref, certaines nouvelles furent des voyages intéressants, d'autres m'ont tiré un peu vers l'ennui, une lecture où je parcourais les mots sans vraiment les lire. le livre reste attachant, tant il est ancré dans une certaine actualité, tant il nous offre à nous citoyens de démocraties malades un espoir et une attache à une démocratie si lointaine mais en danger.
Lien : https://leschroniquesdejerem..
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Ce petit dernier de la collection Taiwan Fiction chez l'Asiathèque nous propose un aperçu de la littérature post-loi martiale (1987). Les auteurs nous montrent dans ces neuf nouvelles leur Taiwan, une Taiwan multiple, plurielle, une Taiwan au métissage culturel mais aussi une Taiwan meurtrie par les mouvements politiques, par L Histoire et par les massacres ayant eu lieu. Nous découvrons également une Taiwan fière et porteuse d'espoir malgré tout.

J'ai beaucoup aimé plusieurs nouvelles
nous proposant des narrations originales, certaines satiriques, d'autres militantes. Toutes ont une ambiance particulière et reflète une époque. Quelques passages sont particulièrement forts et marquants (je pense notamment à la nouvelle "Libellule rouge").

Les récits nous plongent dans la complexité de l'île et dans ses multiples facettes : cohabitation parfois houleuse entre autochtones et continentaux, difficulté pour les aborigènes de garder leurs spécificités, les meurtrissures de l'époque de la terreur blanche. La littérature est un témoin de son époque et peut être utilisée comme une arme.

La préface de Stéphane Corcuff et la postface de Gwennaël Gaffric sont on ne peut plus intéressantes et permettent de mettre en lumière le contexte de ces nouvelles ainsi que celui de l'île.
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9 nouvelles d'écrivains taïwanais, toutes écrites après 1987, année d'un soulèvement populaire contre les abus des représentants de la Chine qui administraient Taïwan depuis 1945. Terrible répression (30 000 morts) et levée de la loi martiale en juillet 1987.

- C'est la faute de la statue de Wallis Nokan (traduit par Coraline Jortay)

- Libellule rouge de Lay Chih-ying (traduit par Damien Ligot)

- Fleurs dans la fumée de Yang Chao (traduit par Stéphane Corcuff)

- Mon frère le déserteur de Wube (traduit par Emmanuelle Péchenart)

- 1987, une fiction de Lai Hsiang-yin (traduit par Matthieu Kolatte)

- Les titi de Chen Yu-hsuan (traduit par Emmanuelle Péchenart)

- La nuit du repli de Chou Fen-li (traduit par Luci Modde)

- Un cabiaï de Huang Chong-kai (traduit par Lucie Modde)

- L'homme aux yeux à facettes de Wu Ming-yi (traduit par Gwennaël Gaffric)

Neuf nouvelles et neuf auteurs très différents qui montrent la variété de la littérature taïwanaise. Les histoires peuvent être très réalistes ou flirter avec un côté plus oniriste. Elles sont rarement directes, elles prennent des chemins détournés pour dire la vie dans l'île, les différentes périodes d'occupations japonaise ou chinoise et la toujours très large influence chinoise. Parfois, le langage est cru, mais toujours empreint d'une élégance et d'une poésie. Comme aurait dit Molière : "Qu'en termes élégants ces choses-là sont mises !"

Ce qu'on retient bien c'est que Taïwan est diverse et riche, de par les origines de ses habitants, leur culture, leurs us. Mais tous veulent y vivre en paix et tous ont quelque chose à en raconter. Une lecture plus politique qu'un autre recueil situé dans la même île, Taipei, histoires au coin de la rue. Les deux se complètent.

L'avantage de confier le travail de traduction à plusieurs -comme dans l'autre ouvrage- c'est que l'on ressent bien cette diversité et cette richesse. Toutes les nouvelles ne touchent pas de la même façon, certaines m'ont moins plu, mais toutes apportent quelque chose à la connaissance de l'île. de même, il n'est point superflu de lire la préface de Stéphane Corcuff qui situe Taïwan géo-politiquement et littérairement et qui aidera à la compréhension des textes qui suivent, ni la chronologie de Gwennaël Gaffric pour l'histoire du pays ni la post-face du même auteur pour affiner et aller un peu plus loin et dans laquelle on trouve cette phrase qui conclura ma recension : "A l'heure où la prise de parole est souvent réduite à son strict minimum (une phrase, un tweet, un post, un court montage vidéo), la parole littéraire, et la fiction en particulier -devenue minoritaire aujourd'hui alors même que la société produit et consomme toujours plus de fictions- semble plus que jamais essentielle." (p.286)
Lien : http://www.lyvres.fr/
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Les émotions de lecture de Cécile
Pour le nouvel an lunaire, je me suis offert un voyage pour Taïwan avec Formosana, histoires de démocratie à Taïwan.
Un recueil qui retrace l'histoire de cette île qui aujourd'hui, tel notre célèbre village gaulois, résiste à son impitoyable et liberticide voisin. Neuf auteurs pour neuf nouvelles retraçant l'histoire politique et sociale de Taïwan : la colonisation japonaise, les évènements du 28 février 1947, la terreur blanche, le processus de démocratisation, les mouvements aborigènes, féministes, LGBT, étudiants…
Le concept de la petite histoire dans la grande pour nous faire comprendre, faire vivre les implications, les peurs, les détresses, ou même la légèreté des événements qu'a ou pourrait traverser Taïwan ! On y croise autant de destin brisé par la dictature, l'emminence d'un conflit avec la Chine, le productivisme. La préface en début du recueil explique le contexte. La chronologie des évènements historique également aide à comprendre où se situent les personnages du professeur qui disparait, à l'ouvrière anonyme, aux chasseurs de papillons, à l'amoureux d'un cabai en pleine tempête d'une guerre fictive avec le voisin chinois. La conclusion éclairée resitue quant à elle les nouvelles et les auteurs.
J'ai été embarquée. de la stupidité de la vénération d'une statue à l'envol de millions de papillons en passant par le bruit des machines à coudre et l'amour d'un père, je ne peux que fortement recommander d'attacher sa ceinture pour un décollage immédiat pour Taïwan avec ses talentueuses plumes !
Lien : https://collectifpolar.wordp..
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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Lu-san disait que ta voix était sublime, et qu'il était dommage que tu t'entêtes à vouloir apprendre le piano, traitant le chant comme un simple amusement. À vrai dire, je me fichais bien que tu sois doué ou non pour le piano, tout ce qui m'importait était de pouvoir contempler la splendeur de ces crépuscules, cette sensation d'être seul immobile dans un coin de la pièce, à écouter les sons épars du piano et de vos discussions ; même les fausses notes recélaient une forme de beauté, tout comme les feuilles d'arbre qui tombaient au dehors.
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Bien sûr la Titi n’est pas une seule personne. Seulement, chaque fois que le contremaître demande : « Qui reste demain pour faire des heures supplémentaires ? », la Titi à serre-tête lève timidement la main : « Titi OK. »  Alors il semble qu’une foule de Titi travaillent dans cette usine de vêtements. Le contremaitre est trop heureux de ne pas avoir à retenir tous les prénoms ; même quand il verse les salaires, il se contente d’appeler les numéros de chacune des machines à coudre, qui sont au nombre de neuf cent trente-cinq : machine n°I, machine n°504n machine n°935, il crie les numéros les uns après les autres et ensuite les Titi entrent à la queue leu leu dans son bureau, par l’entrée de droite de l’usine, pour recevoir leur salaire du mois. L’enveloppe de papier Kraft est lourde de merveilleux espoirs. Mais à l’heure où il faut bien l’ouvrir, le montant est à pleurer de désolation
(Les Titi de Chen Yu-hsuan)
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Sous la lumière blafarde et tremblante des néons suspendus au plafond, les machines à coudre posées sur les tables piaillent sans arrêt, on dirait des bestioles ouvrant grand la bouche pour croquer un doigt, les doigts à chaque coup se replient agilement, reviennent à la charge, esquivent encore, reviennent à nouveau. Les bêtes hochent la tête comme on pile l’ail.
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À l'heure où la parole est souvent réduite à son strict minimum (une phrase, un tweet, un post, un court montage vidéo), la parole littéraire, et la fiction en particulier - devenue minoritaire aujourd'hui alors même que la société produit et consomme toujours plus de fictions - semble plus que jamais essentielle.
(Postface de Gwennaël Gaffric)
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Sous la lumière blafarde et tremblante des néons suspendus au plafond, les machines à coudre posées sur les tables piaillent sans arrêt, on dirait des bestioles ouvrant grand la bouche pour croquer un doigt, les doigts à chaque coup se replient agilement, reviennent à la charge, esquivent encore, reviennent de nouveau. Les bêtes hochent la tête comme on pile l’ail.
(Les Titi de Chen Yu-hsuan)
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