"Comme un mumure" est une magnifique bande dessinée qui allie à merveille la sensibilité aux faits-divers du journaliste danois
Morten Dürr et le dessin tout en justesse et en simplicité de la jeune illustratrice freelance
Sofie Louise Dam. (Chose rare et importante à souligner, ici ; le travail collaboratif d'un couple de dessinateur-scénariste dans le petit monde de la BD, n'est pas si souvent réussi, en ceci qu'il est très fréquent de retrouver une forme d'agrammaticalité entre la mise en scène et l'histoire - dialogues compris)
[Pour en savoir plus sur le travail de ces artistes :
Morten Dürr : https://www.bedetheque.com/auteur-49116-BD-Durr-Morten.html
Sofie Louise Dam : https://www.bedetheque.com/auteur-60829-BD-Dam-Sofie-Louise.html]
Reprenons, après cette parenthèse, "
Comme un murmure" est une oeuvre sensible formidable car elle thématise la difficulté de savoir comment réagir face à un cas déclaré (avec difficulté également) de maltraitance physique. En effet, cette ouvrage, c'est avant tout un jeu en au centre de la narration : le "jeu des murmures", qu'on appelait dans mon enfance "téléphone arabe" (je préfère à ce titre le choix d'une dénomination non-racisée) et qui porte en fait le nom d'une expérience sociale étudiant les rumeurs, dont je vous conseille d'aller regarder la vidéo suivante, pour en savoir plus : https://www.youtube.com/watch?v=a_O8u0YT8T0).
Ce jeu des murmures - réunissant d'abord un petit groupe d'amies - va vite se transformer en un dérivé du jeu action ou vérité en ceci que les règles vont évoluer d'un simple enjeu de transmission de phrases suivie d'une vérification en une dynamique de divulgation de secrets toujours plus intrusive dans l'intimité des joueurs.
Vera, l'une des joueuses de base de ce jeu et personnage principal que l'on va suivre tout au long de l'histoire, suit cette évolution toujours avec une certaine mise à distance de la réalité - comme si elle soupçonnait que quelque chose ne va pas mais qu'elle ne trouvait pas dans ces observations le point de bascule nécessaire à ces réflexions.
C'est avec la participation nouvelle d'Anna que tout va changer, la replongeant dans une spirale de doutes de nature différente mais confirmant le dépassement pressenti de leur zone de jeu initiale. Anna se fait battre par sa mère et ne sachant comment être aidée, saisit l'occasion du jeu des murmures pour le confier à Vera. A partir de cette scène-pivot, s'ensuivra 3 jeu des murmures (4 au total) qui illustreront avec beaucoup de finesse l'évolution de la compréhension et de l'assomption des personnages par rapport à la situation. Phases de mutisme, de colère, de crise de vérité face à un entourage d'Anna (parents et amies de Vera) qui ne veulent pas croire que cette situation de maltraitance existe... Mais heureusement, Vera trouvera dans la figure sage et chaleureuse de sa grand-mère un peu de clairvoyance dans ce monde qui a la flemme de prendre au sérieux des situations aussi dramatiques que celle de la vie d'Anna.
En quelques mots, je vous conseille la lecture de cet ouvrage car :
- il est encadré moralement avec le plus grand soin, portant une attention toute particulière sur le développement empathique de Vera et sur le respect sensible qu'une telle difficulté de révélation devrait impliquer ;
- il sait donner au silence une véritable place en parfaite osmose avec les deux artistes, entre le dessin et l'atmosphère narratif ;
- la sanction est claire : sur le plan de la vérité, même si les réalités sont trompeuses, les premières impressions des parents et amies d'Anna sont fausses (l'argument en question ici est le fait que la mère d'Anna ayant l'air gentille, elle ne pourrait pas la battre ; or cet effet de halo et cette surcohérence nous induit en erreur, la parole d'Anna ayant beaucoup plus de valeur que n'importe quelle impression) ;
- enfin, pour se limiter un peu, la fin est magnifique, emplissant l'horizon de la société d'une bourrasque d'air chaud, de confiance envers l'avenir du monde (ce qui est rare, non ?). Et pour ne rien gâcher la BD, se conclut dans les mêmes termes par une campagne de prévention et d'information de CNPE pour la prévention des enfants, ce que je trouve toujours une très chouette idée en ceci que ça permet d'allier les qualités de l'abstraction ou du déplacement empathique et narrative sur des sujets de société importants et la responsabilité concrète que l'on porte tous à notre échelle sur ce type de questions.
En espérant vous avoir donné envie de le lire, et sinon, de lire simplement, parce que lire c'est toujours bien !