Fable renouant avec les "expériences de pensée" de philosophie et de SF pour questionner l' "activisme" politique.
Publiée en 1999, cette première oeuvre d'un romancier de trente ans constituait un pari au fond plutôt audacieux, cherchant à retrouver les racines de "l'expérience de pensée" philosophique et de la spéculation science-fictionnelle de certains pères fondateurs (ou même d'une
Ursula K. le Guin - qui, rappelons-le toutefois, disposait au moment d'écrire "
Les dépossédés" à 46 ans, d'un bagage philosophique et anthropologique autrement étoffé et solide que celui du jeune auteur français au moment de ce roman-ci).
Réflexion nourrie essentiellement de
Nietzsche, de Deleuze (et particulièrement du Deleuze relisant
Nietzsche) et de Foucault, cette "mise en scène" d'une troupe d'activistes luttant contre la société de "contrôle soft mais total" développée sur un astéroïde, emblématique d'une démocratie ex-terrienne et post-catastrophique, est roborative.
Dans le portrait bigarré de ces activistes, de leurs débats, de leurs options, notamment autour des formes de violence admissibles, de la recherche des formes que la puissance affirmative, l'ironie et la danse deleuzo-nietszchéennes peuvent prendre face à une telle société, ou encore des modes possibles d'un développement anarcho-libertaire, on regrettera bien entendu que, péché de jeunesse, le ton soit souvent dissertatif, et parfois bavard (le personnage principal est professeur de philosophie à l'Université, et le lecteur pourra même suivre l'un de ses cours...). Cinq ans avant "
La horde du contrevent", son second roman, le propos politique est encore trop "exposé", insuffisamment intégré à la trame et au style.
Néanmoins, la polyphonie est déjà bien présente, grâce aux origines diverses des principaux activistes, à leurs filiations sociales et idéologiques, permettant avec bonheur de jouer entre la langue brutale et tout entière tournée vers l'action d'un Slift, celle, par exemple, posée et raisonneuse, d'un Kamio, ou encore, à l'inverse, celle du cynisme absolu mis en mots du président A.
Une tentative pleine d'imperfections et de lourdeurs, qui parvient tout de même, dès le coup d'essai, à se hisser parmi les grandes fresques SF, et à poser crûment la question du sens possible de l'activisme politique, aujourd'hui ou demain.