La Vie d'Elsa de
Jean-Paul Delessard, est un livre sombre, aux teintes estompées, la quatrième de couverture, nous dévoile 4 maximes annonciatrices de bien des drames, la loi N° 4 »les maux qui les accablent font un bruit infernal ».
La photo de couverture sur ces marais en noirs et blancs, donne le frisson.
La Vie d'Elsa ressemble à ces romans Irlandais où le poids des traditions, telles des vents chargées d'encres noires, plombe la vie, au fil des jours, la désagrège.
" Le ciel lentement s'était assombri.
Avec le flot se développait, loin derrière l'autre rive de l'étier, tout un feston de gros nuages gris".P 37
La vision de
Jean-Paul Delessard sur le monde est porté par le visage d'Elsa, une femme trop belle, orpheline, qui s'échoue dans un mariage, sans l'avoir ni rêvé ni voulu.
Les premiers mots de
Jean-Paul Delessard semblent glisser, sur les beautés de la presqu'île de Rhuys, nulle inquiétude encore, le monde est lissé par les bons sentiments.
Puis les mots s'enrayent, se grippent sur les événements, dérapent dans la pluie, la boue et dans le coeur des époux.
Marie Edmée de Roguenard, a oublié qu'une mère peut être affectueuse, valoriser Charme, parfois le sécuriser, cela ne doit pas être insurmontable pour un fils unique, l'héritier, mais aimer son enfant est pour elle une énigme.
Charme au nom si frais si tendre accumule les handicaps, timide, solitaire, à peine socialisé, policé avec les bonnes manières, est immature le jour de son mariage.
Jean-Paul Delessard pour mieux égratigner la mère lui a coupé sa particule pour un De, ridicule, comme pour une vulgaire roturière. La messe est dite, néanmoins, Marie Edmée va perdre pied, son fils a fait un mariage contre nature, la bénédiction se fera, dans la plus stricte intimité..
Le mariage se fige dans la morosité, le silence, l'humidité. Surveillé par Noémie, la bonne, l' espion secret de la grande Edmée, les escapades innocentes d'Elsa sont dénoncées. Charme se tait et de son silence naît une première fissure, profonde, charnelle, violente, avec le sentiment d'avoir été une proie facile, si sourdement abandonnée.
Elsa est orpheline, l'abandon est vécu dans la douleur et la honte, car tout est de sa faute, elle ne mérite pas l'estime des autres, pense t-elle.
Cependant Elsa sera bien vite repérée, par d'autres hommes, "Ainsi recroquevillée Elsa avait quelque chose d'un oiseau perché. p36", admirée, puis choisie et aimée croit-elle, Elsa sera follement amoureuse d'un homme, Yves le Gallic, et curieusement la confidente de Dominique sa femme.
Étrangement, la voilà telle l'aigrette, adulée par un autre, un Artiste. Elle a trop de charmes, mais un de trop, le sien, Charme qui devient de plus en plus incapable, de gérer ses revenus, de protéger Elsa.
Le roman est une forme de portrait plein d'ironie à l'encontre de l'aristocratie vieillissante, comme envers certains acteurs acharnés de la chasse au gibier d'eau, alors que la richesse de la faune limicole, de cette presqu'île est unique,
Plus encore, un réquisitoire très noir, à l'égard des élus, ces nouveaux hobereaux, à ceux qui abusent de leur pouvoirs, un récit aux touches féministes, qui interroge sur les droits que les hommes accordent réellement aux femmes.
Récit au goût amer, pour ces hommes, qui prennent sans protéger, qui aiment sans donner, qui fuient après avoir blessé, tous, l'aristocrate, le médecin, l'élu, le chef d'entreprise, l'artiste, tous ont pu tenir leur proie comme cette sarcelle qu'Elsa tient dans ses mains, encore chaude de vie, aucun ne semble prêt à la sauver.
Entre marais et landes couvertes d'ajoncs,
Jean-Paul Delessard développe une langue charnelle puisée à l'aquarelle de nos paysages brumeux, enveloppés de mythes, un pays de mystère si proche de la beauté d'Elsa.
La nature omniprésente est bien l'univers qui hante ce roman, les oiseaux nicheurs et les multiples limicoles, les courlis, les chevaliers gambettes aux noms enchanteurs, accompagnent le lecteur, et redonnent une beauté sauvage à ce roman.
Un beau roman pour cet automne et les jours à venir.