Il y a chez nous un sens aristocratique de la hiérarchie. Certains prétendent qu’elle est fonction de la hauteur et que plus on travaille près du chapiteau, plus on mérite le respect. D’autres basent leur système sur la force : l’homme prestigieux est celui qui porte jusqu’à dix partenaires, ou les saisit en pleine voltige, assure la stabilité et la sécurité tandis que l’autre virevolte et scintille dans les airs et recueille les applaudissements. D’autres encore font intervenir la notion de danger et considèrent que plus on risque sa vie, plus on est digne d’admiration (exception faite des cibles vivantes, sans doute à cause de leur passivité).
Un cirque est un petit village, une communauté d’individualistes forcenés qui tous les soirs, peu ou prou, se retrouvent liés, face à la mort. C’est dire de quel poids pèsent les humeurs et les ragots, les soupçons et les aveux, les regards surpris, les sourires défendus. Chacun épie pour le bien de tous, essaie d’empêcher les querelles et les jalousies. Nous sommes, en tournée, à l’image de la pyramide humaine : si l’un de nous perd l’équilibre, tout s’écroule.
Contrairement aux apparences, constituer un musée des horreurs est une chose simple. Au forgeron, le brasero, les pinces. Au menuisier, la scie, les tenailles. Au couvreur, le godet à fondre le plomb. Au marin, la poix. Au cordonnier, les alênes. De même que les corps de métier s’honorent de leurs saints patrons, ils s’avilissent à fournir les instruments du supplice.
Ce n’est pas que je craigne de me laisser aller à la violence. Pour rien au monde je ne voudrais lui faire du mal. Je redoute qu’il y ait quelque part en moi une force que j’ignore, une colère que je ne saurais maîtriser.
Mon désespoir s’évapore dans ses yeux tout brillants d’amour. D’amour, oui. Le bonheur me brise.