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EAN : 9782296552661
266 pages
Editions L'Harmattan (29/07/2011)

Note moyenne : /5 (sur 0 notes)
Résumé :
Autant d’expériences différentes des femmes dans la modernité, autant de visions dissonantes de l’émancipation : mais comment inclure cette diversité dans le projet féministe ? Revenant sur une géopolitique du savoir dont la prétention à l’universalité fut marquée par la ‘différence coloniale’, ce numéro souligne à quel point le genre, instrument et langage de la différenciation hiérarchique, est, aujourd’hui comme hier, au cœur de ce processus historique.
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Reconnaître dans ces histoires passées quelque chose qui nous concerne car, demeuré impensé, irrésolu, qui hante notre présent

« Notre interrogation de départ porte, plus particulièrement, sur la difficulté des mouvements féministes de résister avec efficacité à la rhétorique et aux pratiques néocoloniales qui sont en train de faire du sexisme et de l'inégalité de sexe l'apanage exclusif de cultures ‘arriérées', par opposition auxquelles s'affirme la civilité du ‘monde occidental', avec sa tolérance, son féminisme et, surtout, sa capacité inépuisable de changement. »

Maria Eleonora Sanna et Eleni Varikas soulignent « Penser ensemble ces subalternités multiples, confronter et mettre en dialogue des expériences discordantes de l'hétéronomie et de l'oppression, c'est interroger leur historicité, les visions différentes de l'émancipation, les formes de subjectivité et les attentes sociales auxquelles ces expériences ont donné lieu ; c'est enfin, inclure ces généalogies dissonantes, leur indépendance et leur co-temporalité, dans les catégories au moyen desquelles on pense nos sociétés contemporaines, leurs traditions politiques, leur traitement de la pluralité humaine. »

Si nous avons le « même devenir historique », nous n'avons pas la même place dans le passé, nations dominantes pour les un-e-s, traite, esclavage et/ou conquêtes coloniales pour les autres. Et nous pouvons nous laisser facilement embarquer, au nom d'une soit-disant émancipation déjà là, à inventer une histoire linéaire, vu d'ici et plaçant les Autres forcément en décalage voire en retard.

Les coordinatrices du dossier insistent sur « le produit de l'imaginaire colonial et des modes de légitimation qu'il a généré », la sacralisation d'un « passage à la modernité » européenne indépendante des conquêtes coloniales, sans oublier les « processus de déshumanisation à l'intérieur de l'Europe, l'expulsion des Juifs et des Maures de la Péninsule ibérique… ». Notre version fantasmatique de la liberté et des Lumières est profondément muette sur les femmes, les noirs, la traite transatlantique etc…

Les auteures choisissent, à juste titre me semble-t-il, la notion de « colonialité » pour appréhender ces barrières cognitives « Contournant les ambiguïtés du post dans le postcolonial, qui risque de réaffirmer une vision linéaire du temps (ce qui vient après le colonialisme soit pour y mettre fin, soit pour le prolonger), la notion de colonialité de pouvoir élaborée par des penseurs des études subalternes, pour la plupart latino-américains, pose une question de nature épistémique ». Cette grille de lecture permet « d'inclure les ‘nombreuses réponses' adressées au cours des derniers siècles à cette modernité monophonique. »

En soulignant les apports des analyses genrée et en présentant les différents articles, les auteures nous rappellent, entre autres,« le corps des femmes qui fut longtemps l'instrument d'un eugénisme raciste, devient maintenant l'instrument d'un nationalisme communautaire ».

Dans ce dossier, Irène Silverblatt traite « Chasteté et pureté des liens sociaux dans le Pérou du XVIIe siècle ». Elle analyse, entre autres « des contes de fées sur l'honneur et autres sermons coloniaux », les constructions et reconstructions des codes à travers le temps et conclue « L'ironie du sort voulut néanmoins que les valeurs familiales des colons imprègnent profondément l'approche indigénisme : la vertu des femmes ne pouvait être célébrée qu'au dépens des rapports de sexe – un coût ancré dans l'idéologie et dans les pratiques de la conquête espagnole que les indigénistes récusaient si violemment. »

Le passé soit-disant « premier » reste une construction en rapport avec les migrations, les rencontres entre groupes, les métissages divers et variés.

En absence de connaissance sur ces pays, je signale les deux articles suivant sur le Japon et l'Inde : Naoki Sakai « le genre, enjeu politqiue et langage du nationalisme postcolonial japonais » et Paola Bacchetta « Queer et xénophobie dans le nationalisme hindou postcolonial ».

Malek Bouyahia « Genre, sexualité et médecine coloniale. Impensés de l'identité ‘indigène' » analyse les rôles des experts, en l'occurrence des médecins, dans la construction/invention des ‘indigènes', de leur sexualisation et du racisme plus généralement. « Cette construction active/passive de l'identité est coextensive à d'autres oppositions dichotomiques (dedans/dehors, riches/pauvres, hommes/femmes, normal/anormal, national/étranger, virils/efféminés) qui déterminent et définissent les rapports de la métropole et de ses colonies. Ces oppositions sont au fondement de la construction binaire du centre et c'est sur ce modèle que la périphérie sera organisée. » L'auteur nous invite à nous interroger sur l'héritage de cette histoire coloniale « et ce que nous avons intériorisé comme leg ‘infâme', qui nous condamnent à ne pas aller à la rencontre des autres. »

Par ailleurs, comme hier, il convient de désacraliser les experts. Leurs paroles ne sauraient être séparées de leurs opinions, quoiqu'ils en disent et quelque soit le vernis ou le fondement scientifique dont ils se glorifient. La politique est fait de choix pas de « vérités ».

Maria Eleonora Sanna « Ces corps qui ne comptent pas : les musulmanes voilées en France et au Royaume-Uni » réexamine le produit des traditions des deux pays aux dispositifs juridiques distincts « au prisme de la question de l'égalité des sexes afin d'interroger les effets sociaux et politiques concrets sur les personnes concernées. »

Elle insiste à la fois sur « Tout se passe comme si ‘la différence' entre elles, les musulmanes voilées, et nous était un obstacle au processus de ‘la civilisation occidentale' plutôt qu'une modalité de fonctionnement du pouvoir moderne » et sur « le présupposé selon lequel l'autonomie et l'émancipation des femmes seraient acquises dans les sociétés occidentales et le foulard leur porterait atteinte. »

Je souligne trois autres extraits de ce texte :

« En même temps, la mise à l'écart des mouvements féministes antiracistes ainsi que que des activistes musulmanes a anéanti la possibilité d'une véritable délibération démocratique sur le contenu et les stratégies de l'émancipation de tous et toutes, susceptible de prendre en considération les configurations multiples de la subordination des femmes dans les sociétés libérales contemporaines, tout comme la possibilité de convergence de différentes luttes féministes »

« la grille interprétative de l'égalité des sexes permet, précisément, d'interroger la tension, propre aux démocraties libérales contemporaines, entre, d'une part, la construction consubstantielle des États-nations au sein de l'Europe et des empires coloniaux en dehors de celle-ci, et, d'autre part, les principes libéraux d'inclusion universelle »

« Il s'agit aussi du danger d'obscurcir ou de relativiser la réalité des abus religieux et patriarcaux quels qu'ils soient sur les corps et les sexualités des individu-e-s »

L'avant dernier texte concerne des « invisibles parmi les invisibles », les populations les plus (dé)niées d'Europe à savoir les rroms, « La stérilisation forcée des femmes roms dans l'Europe d'aujourd'hui (Angéla Koczé)

Le dossier se termine par un entretien avec Wendy Brown « Configurations contemporaines de la domination et des résistances : un regard transnational ».

J'attire l'attention sur son analyse critique de la tolérance et très subjectivement, je ne présente que quelques extraits qui me semblent emblématiques de cette intervention.

« Aussi la question est-elle la suivante : est-il stratégiquement plus efficace de continuer à soutenir les revendications identitaires ou de dénoncer le contenu norminatif du soi-disant universel ? Je pense qu'il faut toujours faire les deux à la fois. Les revendications identitaires ne parviendront à convaincre largement qu'en montrant la partialité des principes généraux et universels.»

« L'honneur, la modestie, la fidélité sexuelle, la reproduction : tous ces attributs et fonctions sont assignés au corps des femmes, de manière à les subordonner à un projet élaboré et conduit par les hommes. »

« Cela exige par ailleurs de réfléchir simultanément à plusieurs niveaux et en abordant plusieurs problèmes à la fois, comme celui de la violence contre les femmes, la persistance d'un discours colonial sur la race et la religion, celui la normativité hétérosexuelle, celui de l'approche néolibérale de la vie quotidienne, celui de l'appropriation des États par le capital financier, le fait que le discours universel sur les droits humains soit souvent un instrument de suprématie pour la civilisation occidentale, le problème enfin de l'existence d'un ordre économique dont l'impératif est la croissance et le profit, mais jamais une planète durable, ni les besoins d'une vie qui ait un sens. »

Pour compléter ce riche numéro, un texte de Nancy Fraser « Féminisme, capitalisme et ruses de l'histoire », une « lecture » de l'oeuvre de Nicole-Claude Mathieu par Jules Falquet « Pour une anatomie des classes de sexe : Nicole-Claude Mathieu ou la conscience des opprimé.e.s » et de nombreuses notes de lecture.
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Citations et extraits (13) Voir plus Ajouter une citation
Notre interrogation de départ porte, plus particulièrement, sur la difficulté des mouvements féministes de résister avec efficacité à la rhétorique et aux pratiques néocoloniales qui sont en train de faire du sexisme et de l’inégalité de sexe l’apanage exclusif de cultures ‘arriérées’, par opposition auxquelles s’affirme la civilité du ‘monde occidental’, avec sa tolérance, son féminisme et, surtout, sa capacité inépuisable de changement.
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Cela exige par ailleurs de réfléchir simultanément à plusieurs niveaux et en abordant plusieurs problèmes à la fois, comme celui de la violence contre les femmes, la persistance d’un discours colonial sur la race et la religion, celui la normativité hétérosexuelle, celui de l’approche néolibérale de la vie quotidienne, celui de l’appropriation des États par le capital financier, le fait que le discours universel sur les droits humains soit souvent un instrument de suprématie pour la civilisation occidentale, le problème enfin de l’existence d’un ordre économique dont l’impératif est la croissance et le profit, mais jamais une planète durable, ni les besoins d’une vie qui ait un sens
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Aussi la question est-elle la suivante : est-il stratégiquement plus efficace de continuer à soutenir les revendications identitaires ou de dénoncer le contenu norminatif du soi-disant universel ? Je pense qu’il faut toujours faire les deux à la fois. Les revendications identitaires ne parviendront à convaincre largement qu’en montrant la partialité des principes généraux et universels.
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En même temps, la mise à l’écart des mouvements féministes antiracistes ainsi que que des activistes musulmanes a anéanti la possibilité d’une véritable délibération démocratique sur le contenu et les stratégies de l’émancipation de tous et toutes, susceptible de prendre en considération les configurations multiples de la subordination des femmes dans les sociétés libérales contemporaines, tout comme la possibilité de convergence de différentes luttes féministes
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Cette construction active/passive de l’identité est coextensive à d’autres oppositions dichotomiques (dedans/dehors, riches/pauvres, hommes/femmes, normal/anormal, national/étranger, virils/efféminés) qui déterminent et définissent les rapports de la métropole et de ses colonies. Ces oppositions sont au fondement de la construction binaire du centre et c’est sur ce modèle que la périphérie sera organisée.
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