Londres, 1835. Walter Wilding n'est pas un vulgaire bourgeois comme les autres, négociant en vin de son état. Avant de mener une vie aisée après avoir hérité d'une belle fortune à la mort de sa mère, il était un de ces « enfants trouvés », abandonné par sa mère biologique avant même d'avoir été baptisé. Cette belle ascension sociale n'est pas sans conséquence : derrière sa véritable identité se cache un mystère. le vrai Walter Wilding n'est peut-être pas celui que l'on croit et vu l'argent mis en jeu, ça ne va pas attirer que des enfants de coeur. Tous les personnages deviennent suspects et on en croise un certaine nombre : son associé George Vendale en amoureux transi, Joey un employé qui joue les oiseaux de malheur ou un étrange personnage suisse au nom romanesque, Obenreiser...
Quand on a dans les mains un roman écrit à quatre mains par deux maîtres de l'époque,
Charles Dickens et William
Wilkie Collins comme
L'abîme (ou
Voie sans issue selon les éditions), on ne peut qu'être ravie. Dans ces conditions, on a toujours tendance à vouloir décrypter le roman en repérant le style d'écriture de chacun d'eux, la part de Dickens et celle de
Wilkie Collins. C'est un réflexe que j'ai eu malgré moi au début de ma lecture mais par paresse peut-être et surtout faute de connaître à la perfection leur univers respectif et leurs thèmes récurrents, j'ai préféré laisser de coté cette idée. Après tout, on en rate peut-être aussi l'unité et à quel point une telle oeuvre doit être concertée, discutée, réfléchie.
Je préfère voir
L'abîme comme un roman hybride, un peu étrange notamment dans sa forme. Chaque chapitre fait référence au monde du théâtre : « ouverture », « le rideau se lève », l'entrée ou la sortie de tel personnage. Pourtant,
L'abîme a tout d'un roman presque traditionnel avec un jeu sur les éléments romanesques de l'intrigue – à la limite du vraisemblable – rendu possible par des scènes de rencontre ou de reconnaissance ce qui explique la place accordée au monde de l'orphelinat et au mystère qui entoure l'identité de certains personnages. Tout s'explique quand on sait que No Thoroughfare a aussi été une pièce de théâtre, « a drama, in Five Acts », écrite la même année pour Noël 1867 avec la même intrigue sans différence notoire.
De cet univers de la scène,
L'abîme en retient certains éléments comme les coups de théâtre autour notamment de la véritable identité de celui qui est appelé Walter Wilding, les personnages qui répondent souvent à des « caractères » ou des types comme la « mère coupable », le bourgeois ou la pupille Marguerite, parfaite Rosine du le Barbier de Séville à l'époque victorienne. Je pense qu'il y a beaucoup d'ironie de la part de Dickens et
Wilkie Collins dans ces personnages un peu caricaturaux qui ont la larme facile, le coeur sur la main ou l'obsession du meurtre. le voyage final en Suisse a quelque chose aussi de parodique avec son traitement très romantique de l'univers montagnard à la fois exalté et redouté pour le danger que les montagnes et ses « abîmes » représentent.
L'abîme est avant tout un drame mais on rit aux dépends des personnages de leurs excès, eux qui posent beaucoup, et du manichéisme poussé à l'extrême. Bien sûr, certains personnages sortent du lot comme Joey, plus attendrissant qu'agaçant pour sa simplicité et ses superstitions ou Marguerite, pratiquement seul personnage féminin, présentée au début comme « une faible femme » qui s'affirme de plus en plus jusqu'au moment crucial.
Autant
L'abîme, quoique cette traduction du titre laisse un peu à désirer, que
Voie sans issue insistent bien sur cet aspect dramatique et pourtant, ce que je retiens particulièrement de ce roman, c'est la place importante qu'occupe l'énigme, le mystère à tel point que le lecteur est invité à être aussi perspicace que devant un roman policier qui est après tout le grand genre de
Wilkie Collins. On ne sait plus qui est qui, qui trahit qui et même si je ne considère pas
L'abîme comme un « chef d'oeuvre » (le mot est jeté pourtant sur la quatrième de couverture), il a le mérite de nous surprendre ce qui en fait une lecture très agréable.
Ce roman m'a donnée très envie de plus approfondir l'univers de ces deux auteurs (et autant ma bibliothèque que ma PAL comptent beaucoup de
Wilkie Collins non lus !) et pourquoi pas des romans dérivés comme le roman néo-victorien Drood de
Dan Simmons qui met en scène les deux auteurs dans une sorte d'intrigue policière. Il faut dire que
Wilkie Collins, en fumeur d'opium invétéré, a tout d'un personnage décadent ! Rien que la couverture mystérieuse du roman me fait de l'oeil !
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