Il devait prouver à Cool qu’il était capable de prendre ses responsabilités et la sauver. Sans elle, il se sentait comme mutilé. Sa sœur jumelle constituait l’autre moitié de son être. Depuis leur naissance, ils vivaient en vase clos. Ils s’aimaient, s’épanouissaient dans un sentiment fait d’amour haineux, ressentaient leur dépendance tantôt comme une malédiction, tantôt comme une chance.
Ils avaient commis leur premier crime à dix-sept ans en étranglant un vieillard pour lui voler son magot. Ils l’avaient enterré dans la cave du pavillon où le petit vieux habitait. Ce crime, resté impuni, leur avait procuré une sensation de puissance. Depuis, ils croyaient détenir un pouvoir occulte.
Il fallait jouer le jeu, mentir, se montrer souple. Ainsi parviendrait-elle un jour à s’arracher à l’emprise de Willy. Depuis des mois, elle faisait semblant de se plier à sa nouvelle vie. Mais il était plus facile de tromper la mort que de mentir à Willy. Elle devait être sur ses gardes.
Pour se libérer de l’oncle, il fallait de l’argent. Pour trouver de l’argent, il fallait un complice. Elle ne pourrait se sauver d’ici avec ses enfants sans aide. Lord, visiblement attiré par elle, semblait être l’allié parfait. Mais qu’il était difficile de se confier, de se dévoiler ! Et si Lord la « vendait » à son patron ?
Il n’y avait là ni hasard ni coïncidence : les réseaux d’espionnage est-allemands lui avaient permis d’obtenir une location à cet endroit précis, en face de Harrison.
Depuis quelques mois, la cote d’Eberhardt était en baisse. Il savait que sans un succès éclatant, on le rejetterait comme un citron pressé. Il fallait réussir l’opération, échanger la drogue contre les diamants et prouver qu’il était encore et toujours d’une rare efficacité. L’Est semblait se fermer devant lui. On avait toujours su qu’il était agent double, et on l’avait utilisé à ce titre.
. Il n’était pas tenaillé par le manque de drogue mais par le souvenir de quelques plaisirs de voyage qu’il avait ; éprouvés. Depuis sa plongée et sa guérison, il était souvent pris de fringales ; il fallait qu’il mange, qu’il bâfre, qu’il dévore des quantités de gâteaux, de sucreries, ou d’immenses plats succulents, de mets en sauce. Quand il ne pouvait pas manger, alors il devait agir, commander et se prouver à lui-même qu’il était quelqu’un. S’affirmer. Ainsi était-il sûr d’exister sans sniffer.
La police essaie de me coincer depuis des années. Elle est pleine d’ambitieux qui voudraient faire carrière en ayant ma peau, de fouineurs inlassables que je n’ai pas pu acheter. Et même si nous étions ce qu’on appelle pompeusement une famille normale, respectable, nous devrions faire ce qu’on fait toujours en cas de rapt : attendre…