"Il fait doux, cette nuit-là, en Gironde. le ciel est clair, les jardins en fleurs. Il flotte au-dessus de la Garonne une tiédeur d'été et de vacances ... Mais en dessous, dans la ville, c'est le chaos. Malgré l'heure tardive, les signes de la débâcle sont encore bien visibles. Des passants se pressent sous les réverbères, les traits marqués par la fatigue et l'inquiétude, les voitures ont leurs toits écrasés de chargements mal ficelés, matelas, landaus, malles, paniers ; des familles entières, faute d'avoir trouvé où se loger, sont recroquevillés dans les habitables, accablées de sommeil malgré l'inconfort ... Il semble que la France se soit réfugiée à Bordeaux [...]".
En ce samedi 15 juin 1940, la France fuit sur les routes un ennemi peu visible mais partout présent. Paris envahi, c'est pour l'heure Bordeaux qui la remplace dans son rôle de capitale d'un pays au trois quart occupé. Même le gouvernement de Paul Reynaud s'y est provisoirement replié. Léon Blum, l'ancien Président du Conseil du Front Populaire s'est rendu de mauvaise grâce jusque-là, suite à un appel pressant. Il espère au moins y trouver quelques amis, plus sûrement d'anciens partenaires et opposants politiques qui lui reprochent son bellicisme. Et les seuls proches qu'il rencontre lui conseillent de fuir, seul moyen de résister à la puissance de l'occupant qui déferle sur le pays tel un raz de marée, et d'éviter de se faire lyncher par une droite nationaliste et antisémite qui le hait. "Léon Blum, d'une main lasse, met de l'ordre dans ses bagages, incertain sur la décision à prendre : rester ? partir, mais pour où ? Il faut qu'il reste. Ne serait-ce que pour accompagner le parlement en exil, si exil il y a. On lui a laissé entendre que, même là, il ne serait pas forcément le bienvenu ... Il a répondu qu'il le savait, mais qu'il représentait beaucoup pour les Français de gauche, et aussi pour les socialistes de l'étranger, pour les Américains".
Mais qui a bien pu lui envoyer ce message lui demandant de se rendre à Bordeaux, en falsifiant la signature de Georges Mandel ? C'est Jeanne Reichenbach - Janot - une femme amoureuse depuis son adolescence de cet homme élégant et distingué, cultivé, intelligent, brillant et fréquentant le Tout Paris et le monde des arts. Une femme comme on en fait peu pour la période. Mariée une première fois à un avocat juif, franc-maçon, défenseur des causes perdues, joueur, flambeur, débauché, violent, Henry Torrès. Janot n'hésitera pas à demander le divorce pour violences conjugales. Son deuxième mariage avec Henri Reichenbach - le fondateur des magasins Prisunic - était l'anti-thèse du précédent. Homme honnête, discret, droit et juste, il était fou amoureux de Jeanne Reichenbach et lui a permis de vivre une vie d'enfant gâtée. Ce n'est pas ce qu'elle désire. Janot veut Léon Blum. Elle l'a suffisamment attendu. L'Armistice et le désordre qui s'ensuit lui en donnent la possibilité. Surtout, Léon Blum est libre de tout engagement personnel, parce que veuf depuis 1938.
Désormais, Léon Blum et Jeanne Reichenbach seront réunis pour le meilleur, mais aussi pour le pire. Ils espèrent trouver la paix et une retraite tranquille à Saint-Raphaël. Ils ne rencontreront que les prisons de Vichy, le ressentiment d'un gouvernement à la solde de l'ennemi et la haine d'une France qui se révèle - pour le moment - lâche et anti-juive. Léon Blum se sentira soulagé lorsque le gouvernement de Vichy - Pétain en tête - décide de le juger pour "crimes et délits dans l'exercice de ses fonctions de président ou de vice-président du Conseil des ministres ... Trahison des devoirs de sa charge dans les actes qui ont concouru du passage de l'état de paix à l'état de guerre ... Atteinte à la sûreté de l'Etat ..". Il va enfin pouvoir répondre aux accusations de ses contradicteurs, aux rumeurs de la rue, aux vociférations des journaux proches des milieux collaborationnistes et d'extrême droite. Surtout, pendant sa détention Léon Blum va se battre pour élaborer sa défense, reconstruire son parti dans la clandestinité et préparer l'Après. Cette force, ce courage, cette combativité, cette envie de survivre au pire, Léon Blum le devra à une seule et unique personne, Jeanne Reichenbach. Elle sera son rocher, son sémaphore dans la tempête, son refuge, son havre de sérénité et d'optimisme. Elle lui insufflera, tout ce temps, son énergie et sa vitalité. Sans elle, ces épreuves auraient été difficilement surmontables pour cet homme affaibli et attaqué de toutes parts.
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Je vous promets de revenir" aurait pu être un ouvrage aride, sec, austère et froid. Or, il n'en est rien. Au contraire. Dans son ouvrage,
Dominique Missika revient sur une histoire d'amour comme on en fait peu. Une histoire profonde d'un amour passion qui transcende le temps, les événements, les épreuves, pour - enfin - se vivre au grand jour. Une histoire d'amour qui se développera petit à petit et donnera toute sa plénitude en se mêlant à la grande histoire. Il leur en faudra du courage, de la volonté, de l'abnégation même pour dépasser les convenances de la période et aller au-delà de leurs propres différences. Car il y en a. Blum, l'homme du Front Populaire, l'humaniste et le politique qui a permis l'avancée sociale et les congés payés à des milliers d'ouvriers qui ne connaissaient que le travail, l'intellectuel et le lettré engagé dans la voie du socialisme. Jeanne Reichenbach, bourgeoise et mondaine, n'avait rien d'une militante, d'une passionaria. Elle était plus proche des préoccupations de la grande bourgeoisie que des personnages de "La Belle Époque". Et pourtant, Jeanne va suivre Léon Blum partout dans son périple, des châteaux prisons de Chazeron à Bourrassol, de la forteresse du Portalet à Riom et jusqu'à Buchenwald où ces deux-là s'uniront devant Dieu et les Hommes. Elle connaîtra l'angoisse de l'attente des visites, la frustration des retrouvailles toujours trop courtes, la peur de laisser l'être cher seul avec ses geôliers, le quotidien des queues devant les commerces pour se nourrir, alors qu'elle pouvait s'enfuir aux États-Unis et continuer sa vie dorée et frivole. Par amour, Jeanne Reichenbach - reine des soirées parisiennes des années 1930 - acceptera de s'effacer, sera la compagne discrète mais néanmoins indispensable dans les instants cruciaux. Tout au long de cette tragique période, elle se dévoilera telle qu'en elle-même, comme une personne sensible, humaine, aimante, généreuse.
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Je vous promets de revenir" est un ouvrage historique qui s'appuie sur la correspondance partielle entre Léon Blum et Jeanne Reichenbach et se lit comme un roman d'aventure. Les détails fourmillent sur la grande histoire sans jamais en gêner la lecture. C'est un ouvrage riche, documenté, argumenté qui nous fait revivre - dans une langue claire et limpide, sans fioritures - un des grands moments de l'histoire où l'amour reste le plus fort.
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