Ce n'est pas le livre le plus réputé de
Roland Dorgelès, forcément, mais ce recueil élogieux des premiers temps de la colonisation française en Afrique n'est pas seulement l'ouvrage de propagande bête et méchant que l'on imagine. Certes,
Roland Dorgelès défend, dans sa préface, l'héritage colonial français comme partie intégrante de l'histoire de France, parfois en affirmant, un peu trop abruptement, que celle colonisation s'est faite sans faire usage de la force, ce qui est d'autant plus exagéré que les récits qu'il dévoile témoignent du contraire. Mais au-delà du prétexte patriotique, ce qui a intéressé
Roland Dorgelès, ce sont les hommes qui sont parvenus, parfois au prix de leur vie, à ouvrir un passage vers des contrées inexplorées ou à négocier un protectorat, face à des adversités tribales, à la concurrence britannique ou simplement à l'hostilité d'une nature totalement sauvage. Il est donc surtout question ici d'explorateurs, plus que de colons, de petits artisans de l'aventure auxquels leur héroïsme n'a guère rapporté que quelques médailles ou la gloire posthume de donner leur nom à une ville africaine.
Neuf étapes fondatrices de la colonisation française en Afrique sont ici racontées sur un ton volontiers romanesque, comme s'il s'agissait d'un récit d'aventures pour adolescents. L'exercice de style est d'autant plus périlleux qu'il s'agit assez souvent d'histoires relativement semblables, mettant en scène les péripéties d'un explorateur cherchant à contacter un chef de tribu pour acter une alliance ou à mater le meneur d'une troupe de rebelles. Il faut reconnaître à l'auteur que pour chaque récit, il sait trouver une narration différente, mettant tantôt en avant l'action, tantôt l'intrigue, célébrant l'héroïsme d'un colon ou décrivant une bataille ou une rencontre décisive dont les intervenants ne sont que des pions anonymes. Cette licence narrative n'empêche pas non plus
Roland Dorgelès de fournir un rapport extrêmement documenté, riche en anecdotes peu connues, sur chacun des événements ou des personnages qu'il décrit.
À la fois instructif comme un manuel et envoûtant comme un roman historique, "Sous le Casque Blanc" serait un divertissement exotique parfait, si l'on n'y sentait le besoin permanent de justifier tel massacre, telle bataille, tel bras de fer avec les autochtones au nom de l'expansion coloniale civilisatrice, preuve qu'en 1929, le doute commençait à poindre auprès de la population française. Certes,
Dorgelès approche son sujet d'une manière réaliste et âpre, n'hésitant ni à montrer la détermination fanatique de certains personnages, ni leurs extrêmes difficultés pour survivre au milieu de la jungle, malgré les fièvres et les dysenteries. Il n'hésite pas non plus à montrer les doutes existentiels de certains, et l'ingratitude de l'Etat Français concernant certains autres (notamment en ce qui concerne la crise de Fachoda). Mais enfin, on ressort de ce livre avec l'impression que l'Afrique n'a été défrichée que par d'irréprochables patriotes, et par des hommes d'une exemplaire moralité, ce qui est très excessif. Certes, tous ces hommes ont partagé des aventures extraordinaires, sans forcément imaginer la manière dont les territoires colonisés seraient exploités par la suite, mais il se trouvait forcément parmi eux des opportunistes, des ambitieux, des belliqueux, des rastaquouères, des mégalomanes... Sur tout cela,
Roland Dorgelès jette un voile pudique : ces hommes sont des héros, et ils ne peuvent se comporter qu'en héros. Qu'on se le dise !
Ce consensus démagogique plombe un peu hélas ces récits pourtant brillants qui, en dehors de cela, se veulent extrêmement réalistes. Les colons ne sont ici que des ambassadeurs de France venus offrir la civilisation aux sauvages avec un beau paquet cadeau, sans jamais brandir une arme, sans jamais piller ou violer, traitant les souverains africains avec le plus grand respect, et les chefs rebelles comme de nobles adversaires. Cela devait, en 1929, laisser beaucoup de gens un peu dubitatifs. Aujourd'hui, ça ne convainc vraiment plus personne.
Néanmoins, pour ceux qui sauront s'abstraire de ce lissage moral et patriote, "Sous le Casque Blanc" est un recueil de nouvelles tout à fait passionnant, typique des récits d'aventure des années 30 et qu'il convient d'apprécier avant tout pour ses indéniables qualités littéraires.