Tout le monde au Japon connaît ce poème. Kenji le portait toujours sur lui, noté dans un petit carnet noir. C’était en somme une ligne de conduite personnelle, intime, qui a trouvé des échos innombrables par la suite.
QUE LA PLUIE ne m’abatte
Pas davantage que le vent
Ni la neige
Ni la chaleur de l’été
Un corps en bonne santé
Pas de désirs
Jamais d’emportements
Que toujours
Je rie paisiblement
Que je mange chaque jour
Quatre bols de riz brun
De la soupe, quelques légumes
Devant toutes choses
Que je m’efface moi-même
Que je les voie, les écoute, les comprenne
bien et jamais plus
ne les oublie
Que j’habite une petite cabane
Au toit de chaume
À l’ombre d’un bois de pins
Parmi les prés
Un enfant souffre au levant
Que je parte le soigner
Une mère n’en peut plus au couchant
Que je lui porte ses bottes de riz
Un mourant au sud
Que j’aille lui dire : “n’aie pas peur”
Des disputes, des chicanes au nord
Que j’affirme leur bêtise et les achève
Que mes larmes coulent
En cas de sécheresse
Que ma marche se bouleverse
Si un été est trop froid
Que tous me nomment
simple d’esprit
Que je ne sois ni loué
ni tourmenté
Voilà comme
Je veux devenir
(Traduction Hélène Morita)
RÉCEMMENT, UN HOMME A AFFIRMÉ auprès des lépreux qu’ils étaient comme une grenouille dans un puits. Ces propos n’ont aucune valeur. Il va sans dire qu’un cerveau qui crache de telles grossièretés n’atteint pas des sommets. Pourtant, à chaque fois que j’entends ce type d’assertion, les lamentations de Nietzsche me reviennent et me pénètrent.
« Mon frère, connais-tu déjà le mot “mépris” ? Et le tourment de ta justice qui te force à être juste envers ceux qui te méprisent ? »
Je m’adresse à mes frères dans tous les établissements de soins. Saisissez-vous ces lamentations de Nietzsche ?
Je viens de passer ma vingt-troisième fête de Nouvel An, la troisième ici à la léproserie. Alors que j’étais jadis ce poisson dans la haute mer, me voici aujourd’hui au fin fond du puits, telle cette pauvre grenouille qui se traîne lentement. Pourtant, la vue qui m’est offerte ici m’a fait découvrir la beauté des constellations nocturnes.
Un poisson, vivant en haute mer et fier de la connaître, saurait-il admirer cette beauté du ciel étoilé ? Un poisson vivant dans les eaux profondes saurait à peine prendre conscience de l’eau de mer qui l’entoure.
Quand je repense aux jours de l’an de ces dernières années, chaque passage fut accompagné d’une douleur toujours plus forte.
« Ce n’est pas devant toi que je me suis prosterné, mais devant toute la douleur humaine. »
(Hôjô Tamio, romancier et lépreux)
UNE ÉTRANGE FRACTURE…
Ou plutôt, un broyage.
Peut-être fera-t-on de nous une nouvelle farine
pour un nouveau pain ?
Nous sommes fissurés depuis longtemps,
Et nous échouons, une fois de plus…
Par une ligne inachevée, le monde
nous prive à nouveau de peau.
Peut-être que le monde n’existe plus ?
Il reste juste une faible lumière
Vers laquelle nous volons à nouveau
Souffrant de ne pas comprendre
Un regard long et étrange…
Et tout maintenant est un peu “suspendu”
Et tout maintenant ressemble un peu à la fumée
Des flammes mourantes du savoir.
(Bakh Akhmedov, poète ousbek russophone)
Qui était Kenji Miyazawa ? par Taijiro Amazawa
Un homme du Feu
C’était un homme du Feu : en lui un lac brûlant de flammes projetait des mots, de la chaleur, de la musique, des cendres et des cailloux : des amas de cendres surgirent des plantes et des cailloux refroidis devinrent des pierres précieuses. De son vivant, Kenji Miyazawa était un volcan actif, un avatar du beau mont Iwaté qu’il avait admiré dans son pays depuis son enfance.
Ryoko Sekiguchi Patrick Honoré le Club des gourmets et autres cuisines japonaises. Traduire. Où Ryoko Sekiguchi et Patrick Honoré tentent de dire de quoi est composé "Le Club des gourmets et autres cuisines japonaises", présenté par Ryoko Sekiguchi, et comment a été traduit du japonais ce recueil de Kôzaburô Arashiyama, Osamu Dazai, Rosanjin Kitaôji, Shiki Masaoka, Kenji Miyazawa, Kafû Nagai, Kanoko Okamoto, Jun?ichirô Tanizaki traduits par Ryoko Sekiguchi et Patrick Honoré, à l'occasion de sa parutuion en #formatpoche aux éditions P.O.L et où il est question notamment de la traduction à deux mains, de Patrick Chamoiseau et de mangas,et des mots pour dire la nourriture et la cuisine.
"Si le Japon est connu comme un pays de fine gastronomie, sa littérature porte elle aussi très haut l'acte de manger et de boire. Qu'est-ce qu'on mange dans les romans japonais?! Parfois merveilleusement, parfois terriblement, et ainsi font leurs auteurs, Tanizaki, Dazai, Kafû du XIIe siècle à nos jours, dix gourmets littéraires vous racontent leur histoire de cuisine."
+ Lire la suite