Meurtres à la une

Elle n’avait jamais fantasmé sur les héros de la guerre d’Algérie ! Ses délires d’étudiante, c’étaient plutôt le Rwanda, le Kosovo, le Koweït… Elle imaginait ceux qui risquaient leur vie pour révéler aux Occidentaux ce qui se passait réellement sur place. Ou alors les journalistes d’investigation, ceux qui mettaient à jour les plus gros scandales défrayant la chronique, ceux qui traquaient les gros bonnets et leurs magouilles. Alors qu’elle, son quotidien c’était les portraits de gens sympathiques, les faits divers… Bien sûr, elle considérait ça comme une étape, surtout que le journalisme n’avait pas été sa toute première vocation, mais en y réfléchissant bien, la route vers la notoriété journalistique lui paraissait bien longue !

Difficile de trouver comment commencer plus mal la journée ! Pour lui, ça dépassait l’entendement : comment des êtres humains peuvent volontairement venir s’entasser comme des sardines dans une boîte, fallait vraiment pas avoir le choix ! Mais se retrouver coincé avec tous ces gens hargneux, maussades, voire hystériques dès le matin… Et la circulation en surface, même si elle avait l’avantage de garantir un certain isolement bienfaisant, n’était pas tellement enviable, vu le nombre de barjos qui circulaient dans les rues : automobiliste à Paris, c’était un sacerdoce, ou alors ça participait de la grande frénésie collective qui pouvait seule rendre ça supportable pour des gens complètement défoncés au stress.

Elle ne connaissait pas grand-chose au monde de la police… Le monde réel, s’entend : comme tout le monde, elle regardait une série policière de temps en temps et quand elle était gamine sa mère adorait Julie Lescaut, mais ce n’était pas son rayon et elle n’y avait aucun indic, au contraire de nombre de ses collègues. Elle ne voulait surtout pas les gêner mais était tout de même curieuse : est-ce que ça ne vaudrait pas le coup de voir comment ça se passe en vrai et faire part de cette expérience aux lecteurs ?

...chacun mène ses enquêtes et tant mieux pour qui aboutit en premier, mais avec les deux jeunes femmes ils ne pouvaient pas se sentir… Meunier et Dupuis étaient les archétypes de la femme flic qui cherche à faire aussi bien si ce n’est mieux que les mecs, et à prouver qu’elle mérite de toucher la même somme à la fin du mois. Pire encore, elles avaient tendance à représenter ce que tout le monde détestait chez une grande partie des flics de la Criminelle : l’arrogance, la brutalité, le sans-gêne…

Elle cavalait comme une dingue dans les couloirs de la rédaction pour arriver jusqu’à la salle de réunion, mais en posant une main sur la poignée, elle prit deux secondes pour reprendre sa respiration : arriver en soufflant comme un bœuf, elle était sûre de se faire remarquer, alors que si elle parvenait à s’infiltrer discrètement dans le groupe, si ça se trouve, personne ne saurait qu’elle était en retard…