Que vient-il de se passer dans la vie de ce défait ? Un désespoir d'amour, peut-être, qui le laisse vaincu, tombé, couché, remenant*. Dans ses trois premières pages, remarquables,
Jean-Pascal Dubost donne une exposition on ne peut plus convaincante de concision et d'efficacité pour le "récit" (merci et salut à l'éditeur qui a osé ce sous-titre en place de "roman") qui va suivre.
Voici ce "défait" quittant sa vie pour rejoindre, ermite solitaire et nostalgique, la ferme désormais déserte, en déshérence, où il a passé son enfance, s'y livrant à la fois au travail d'anamnèse propre à toute écriture et à l'oubli par l'abus d'alcool, se perdant dans sa vie, sa mémoire, sa conscience et ses interrogations inquiètes sur la mort.
Écrit à la troisième personne, ce livre inclut, de temps à autre des passages entre parenthèses où s'exprime directement le je de l'auteur, alternance qui n'a rien, ici, d'artificiel, mais éclaire avec l'honnête pénétrante de l'intelligence.
Télescopant dans une grande variété de registres d'écriture, comme à son habitude si personnelle et reconnaissable, le savant et le populaire, l'ancien et le moderne, le plus souvent puisés dans sa culture du Moyen-Âge ou la parlure normande de son enfance (lesquelles désespèrent le Petit Robert), disant le banal mais jamais banalement,
Jean-Pascal Dubost creuse avec une finesse exemplaire (ou plutôt des finesses) le lexique, la langue, la construction, le rythme, n'hésitant pas à jouer parfois d'audaces typographiques.
Tout livre, comme toute vie, oscillant entre vérité (et seulement la sienne, celle de l'auteur, du narrateur) et fiction, celui-là, ancré dans le corps et l'esprit, nous fait comprendre, une fois de plus, que chaque réalité est invention.
Et dans ce récit de terre, de souffrance et de chair, si attentif aux paysages, sons, aux odeurs, aux cinq sens des humains et des bêtes, apparaissent, pour la première fois peut-être dans l'oeuvre de
Jean-Pascal Dubost, des notations érotiques qu'on ne pouvait imaginer que pertinentes et lucides quand elles viendraient sous pareille plume.
"
Le Défait", finalement, est le récit, échappant magistralement au pauvrement autobiographique, d'une victoire: celle de l'écrivain réussissant à prendre le dessus sur son texte — «C'est ça écrire : une paresse active».
* le mot "remenant", cité à la fin du récit, et qui aurait pu en donner le titre, est emprunté à ce vers de
François Villon : «Et Dieu sauve le remenant», signifiant alors « celui qui reste/le survivant».
Critique parue dans "Encres de Loire" n° 53 page 29, automne 2010
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