Jack Kerouac est revenu en France sur les traces d'un lointain ancêtre, qui au 18ème siècle partit en terre québécoise pour échapper à la prison : cela donnera Satori in Paris, où l'auteur racontera son périple, mais ne retrouvera pas les ancêtres prestigieux dont il rêvait.
Quelques décennies plus tard, dans une sorte de mise en abyme littéraire,
Jean-Pascal Dubost marche sur ces mêmes traces, à la recherche cette fois d'une plaque dédiée à Kerouac : il finira par la trouver, non pas dans le village de l'ancêtre (les villageois n'ayant jamais entendu ce nom – « kerouacoquoi ? »), mais, un peu plus loin, dans la forêt de Huelgoat, selon l'indication du libraire local.
Parvenu enfin à l'objet de sa recherche, l'auteur cache mal sa déception : « cette plaque n'était pas une plaque, mais une stèle, dont l'hideux aspect n'avait pour égal que l'hideux aspect d'un marbre funéraire […]. Ni tristesse, ni joie particulières ; rien que le constat de la hideur en totale correspondance avec la grisaille de l'échec de Kerouac. »
Car
Jean-Pascal Dubost n'est pas tendre avec Kerouac. S'il avoue qu'il aime son livre parce que c'est un livre raté, il ne ménage pas l'auteur américain : « un excellent écrivain et probablement un pathétique type » ou encore « un pochtron ». Certes, les auteurs américains qui ont usé, voire abusé, de l'alcool sont nombreux : d'
Edgar Poe à
Jim Harrison, en passant par
Faulkner, les exemples ne manquent pas, mais on peut au moins s'interroger sur le rôle de l'ivresse dans leur écriture ? Cela n'a rien d'une évidence pour
Jean-Pascal Dubost, même s'il finit par concéder qu'il faut « séparer l'homme de l'oeuvre et s'attacher à l'une et pas à l'autre ».
Avec un langage précieux, souvent pompeux ou même ampoulé, le poète déroule son récit et on peut se demander s'il n'est pas lui-même tombé dans le piège qu'il décrit pour Kerouac : « Aucun satori, aucune illumination soudaine, aucune révélation » à la lecture de
Kerouac de Huelgoat. Ce qui sauve pourtant ce court récit (qui se veut ?) poétique, c'est peut-être la fin : l'auteur, délaissant les conseils de l'Office du tourisme sur les chemins à suivre, se perd dans la forêt et tombe sur une autre stèle : celle de
Victor Segalen, retrouvé mort par son épouse Yvonne dans des circonstances mystérieuses.
Cet autre voyageur, délaissant son pays pour les charmes de l'Asie et ramenant dans ses valises des textes de qualité, n'aura, lui, pas raté la mise en scène de sa mort : un pied de nez à l'auteur américain, qui mourra noyé dans l'alcool et misérable, « môme à maman mort dans son giron après avoir bien raté toute une vie », sans même avoir renoué avec ses aristocratiques ancêtres bretons, malgré son pseudo Satori ?