Le corps est vu chez nous sous un angle étroit, comme un instrument qui permet d'exister dans le monde, d'y faire sa place et de se rendre utile. Il est entraîné et utilisé comme un objet qui doit être en bon état, solide, élastique et bien huilé, apte au travail et capable de fonctionner sans accrocs. C'est ainsi que l'on traite le corps que l'on a, celui dont le fonctionnement – les canons du sport le montrent bien – a très peu à faire avec la maturité intérieure, sans même parler de la voie initiatique. Tout change quand, au lieu de garder le corps en bon état et de l'entraîner en vue de performances visibles, on le met au service de la transformation intérieure. Cette fois il ne s'agit plus du "corps que l'on a" mais du "corps que l'on est", et c'est là une différence essentielle pour la thérapie de la personne.
Une nouvelle vie commence pour celui qui prend conscience de la chance et de la tâche qui lui sont imparties, car transformer nos corps en conformité avec l'Être est une œuvre qui l'accompagne dans toutes les situations de la vie.
Aujourd'hui je sais qu'il y a, par la voie initiatique, un moyen d'abolir consciemment les limites du moi et de les dépasser : supporter l’insuportable. S'arrêter à la frontière du concept et le supporter. Alors naît la chance d'être accueilli par quelque chose de Tout Autre. Plus encore : quelque chose de supranaturel s'éveille en notre conscience et efface toutes les limites. Un instant avant on était « dehors » et tout à coup on est « dedans » et en même temps curieusement « chez soi ».
Or nous remarquons aujourd'hui que rien ne prépare mieux une renaissance de l'homme par son Etre essentiel que cette lente asphyxie de son centre vivant. Le danger qui le menace suscite justement son réveil. L'effondrement chaotique de tout ordre, la révolte de la jeunesse contre une éducation uniquement préoccupée de la préparer à s'affirmer dans le monde et y être efficace servent la naissance de l'homme nouveau s'éveillant à son Etre essentiel.
Il faut surmonter aujourd'hui la paralysie de notre esprit qui, dès qu'il s'agit de science réduit ses capacités de connaissance aux domaines accessibles à la raison, c'est-à-dire à cela même qui dissimule le mystère.