La Fille de Diké, tome 2 : La Ville miraculeuse

La fille de Diké gardera une place dans mon coeur pour l'empathie dont elle entoure ses personnages. Dans le tome 1, on suivait l'histoire d'une famille faisant front face à des épreuves aussi dures qu'injustes, dans un univers tout imprégné de poésie polynésienne et livré aux forces contraires de l'Équilibre et du Chaos. Difficile de parler des tomes 2 et 3 sans spoiler, mais si je devais résumer la trilogie en trois mots, un par tome, ce seraient tendresse, deuil et résilience. La tendresse qui irrigue le tome 1 et donne à Tahore, Noun, Aether, Gê et Aione la force d'affronter les pouvoirs aussi miraculeux qu'inquiétants qui les investissent à la naissance d'Aione, le regard des autres sur leur différence, l'impression de voir leur quotidien heureux s'effilocher sous l'action de forces incompréhensibles. le deuil qui les déchire à travers le tome 2, deuil concret suite aux pertes, mais aussi, plus insidieux, deuil de leur mode de vie dont ils sont déracinés, de leur cheminements personnels dont ils sont dépossédés, deuil de l'innocence enfin, marqué jusque dans la chair d'Aione qui change d'apparence physique et est renommée Pûr. Enfin la résilience, tout au long du tome 3, qui souligne autant l'impossible retour en arrière que la nécessité de panser ses propres blessures avant de pouvoir se rouvrir à autrui. La résilience n'est ni gaie, ni spectaculaire, mais c'est elle qui permet d'apprivoiser ses démons, de continuer à marcher et de transformer peu à peu une fuite en nouveau chemin. J'ai été un peu moins emportée par ce dernier tome très marqué par la durée, l'échec, la discorde et l'introspection, mais je sens qu'il infuse aussi efficacement que les précédents, quoique différemment, et sur des thèmes tout aussi nécessaires. le choix éditorial d'avoir réuni les tomes 2 et 3 ne me paraît pas pertinent sur ce point, il pousse le lecteur à enchaîner une fin de tome 2 riche en rebondissements et un tome 3 en état de choc ; je crois qu'une pause entre les deux aurait permis de mieux apprécier le changement de rythme.
Pour conclure, et de mon côté dire adieu à la planète Monos, je retiens le lien entre les personnages, qui m'a émue tout au long de ces textes, la connexion nourricière avec la nature qui apparait autant dans les petits rites des îles que, par effet de manque, dans son absence au sein d'une cité déconnectée qui a remplacé les rites par une tradition figée et cruelle, et puis la réflexion sur la coexistence de l'ordre et du chaos pour parvenir à un véritable Équilibre, sur la possibilité de transmuter colère et souffrance pour en faire des sources d'énergie. Enfin, l'originalité de cet univers qui prend racine dans la culture du Pacifique mais va également puiser en Amazonie et au Tibet, et s'amuse même à brouiller les frontières entre fantasy et SF, comme on le découvre peu à peu.

C'est un air chaud qui se dégage de cette trilogie, un air qui vient des îles ; c'est l'odeur de l'orage qui mugit derrière les volcans, la touffeur des croyances, la légèreté de l'amour et l'inéluctabilité des révolutions. C'est le fiévreux, le doux, le moite, le dur ; c'est le poids rassurant des traditions.

Avec un talent de conteuse certain - et une certaine prouesse, l'autrice nous prend par la main pour un singulier voyage dans des îles volcaniques, et rien que pour celui-ci, cette trilogie vaut la peine d'être découverte. Immersive à souhait, ode syncrétique, se rassemblent dans ses pages des cultures vraisemblablement éloignées : de Polynésie, d'Amazonie, du Tibet, un peu De Grèce aussi. L'imagination vient lier le tout.
Ou serait-ce cette famille, cette famille d'une tendresse folle ? Seraient-ce Pûr, Gê et Aether qui seraient le lien, le trait d'union, le ciment de l'histoire ? J'ai rarement, je crois, lu des personnages aussi attendrissants, profonds, aux actions et réactions fondamentalement cohérentes qui apportent au récit une fluidité étonnante malgré la complexité des coutumes qui le construisent.

Mon seul regret sera un brin de lassitude qui s'est immiscée au fil du tome 2, que j'ai marqué d'une pause pour m'alléger de la sensation de répétition qui s'installait. Une fois replongée dedans, je l'ai appréciée pour sa langueur, sa plume et, jusqu'au bout, ses personnages.
J'ai aimé cette SF qui s'intègre à la fantasy, ouvrant une dimension écologique intéressante et pertinente ; j'ai aimé l'extrême sensibilité de l'ensemble malgré la dureté des événements, l'espoir qui l'imprègne ; j'ai aimé la fin douce-amère et la place, rare et précieuse, donnée à la famille.
Et surtout, je m'y suis sentie accueillie, et cela est, il me semble, l'essentiel d'une bonne lecture !

Deuxième partie dans la droite lignée du premier, très plaisante à lire.
Troisième partie différente, à mes yeux plus brouillon, avec une révélation qui intervient dès les premières pages que j'ai trouvée très décevante et peu originale et qui m'a un peu sorti de ma lecture.

4 étoiles pour le "deuxième tome" - 2 étoiles pour le "troisième tome."

0 étoile pour Bragelonne et l'édition de la fin de cette "trilogie."