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Critique de Antyryia



Paru le même jour que le dernier 13 à table, ce recueil de nouvelles n'inclue que des auteurs de la grande famille du noir et du polar. Il s'agit du troisième dont les droits seront reversés à l'association ELA ( Association Européenne contre les Leucodystrophies ) après Phobia paru chez J'ai lu en mars 2018 et Storia 2021 paru aux éditions Hugo poche il y a un an. Une façon de faire une bonne action, de sensibiliser les lecteurs à ces maladies infantiles ( elle se déclinent sous de multiples formes ) et de se faire plaisir puisque des recueils de cette qualité, même si vous boudez les nouvelles en règle générale, je n'en n'ai pas lus souvent.
Mais avant de passer au contenu je vais peut-être parler de cette maladie, même si des familles le font beaucoup mieux que moi au travers de leur vécu, sous forme écrite ou de vidéo accessible par un flashcode en fin d'ouvrage. Confirmant que les aides de l'association parrainée par Zinedine Zidane va certes en grande partie à la recherche mais également aux familles : le budget requis en matériel médical adapté est en effet extrêmement onéreux.

Le témoignage ému d'une mère s'interrogeait sur la faculté du gouvernement à dégager des fonds abyssaux lorsqu'il a fallu s'adapter au covid 19, rechercher un vaccin, aider les entreprises. Et à ne rien faire pour elle ou son fils de dix ans hospitalisé à domicile, ayant perdu toutes ses facultés motrices, devenu aveugle, mettant des couches. Il entend encore, mais c'est provisoire. Et pourquoi est-il dans cet état presque végétatif, aux portes de la mort, alors que tout allait bien à la naissance ? Parce qu'il a hérité de mauvais gènes.
Moins d'un enfant par jour naît en France avec cette pathologie qui ne sera détectée au plus tôt qu'au bout de quelques mois, souvent après plusieurs années. Cette maladie neurodégénérative, on peut désormais en ralentir les effets destructeurs via des effets cliniques, des structures adaptées. Quelques années de gagnées avec la chair de votre chair que vous n'aimez que davantage pour son courage. Mais au final ses premiers pas seront du passé quand ramper deviendra son unique moyen de déplacement, ses premiers mots ne seront plus que des borborygmes, et une paralysie totale finira par vous l'ôter avant l'arrivée de la grande faucheuse.
Votre vie sociale en souffrira, le regard d'inconnus sera souvent gêné, parfois déplacé. Pour se faire des amis il faut taire son quotidien et simuler une joie de vivre sans trop mentionner les visites aux hôpitaux et les batteries d'examens qui rythment votre quotidien. Parce qu'il ne faut surtout pas mettre mal à l'aise nos interlocuteurs.

Il est devenu coutumier de donner une thématique désormais aux recueils de nouvelles. Je ne sais pas qui a instauré cette mode. Des textes courts sont commandés pour figurer dans une anthologie particulière. Les noms des auteurs sont probablement plus vendeurs que la qualité des textes. Cela dit, ça n'est pas non plus inintéressant de voir comment peut se décliner un même sujet, certains écrivains en profitent pour sortir de leur zone de confort et surprendre leurs lecteurs. Mais la qualité est rarement régulière. On lit frénétiquement un petit bijou d'inventivité et après on se fait chier comme un rat mort. C'est peut-être pour ça que les nouvelles n'ont pas toujours l'accueil qu'elles mériteraient.
C'est à nouveau Damien Eleonori, auteur de la mort n'existe pas, qui réunit de nombreux auteurs pour faire parler de cette association ELA. le premiers des thèmes proposé était la phobie, les contes de fée dans une version détournée et plus moderne l'année dernière, et j'ai beaucoup aimé celui-ci : Les auteurs doivent se mettre en scène dans une anecdote, un fantasme, un cauchemar. Quasiment tous les narrateurs et narratrises seront donc les écrivains eux mêmes qui vont entraîner le lecteur dans d'insoupçonnés délires.
Parce qu'il est bien connu que les auteurs de romans noirs ne sont pas bien dans leur tête.
Et c'est ainsi que nous retrouvons quelques uns de nos auteurs préférés, et quelques inconnus également, dans des mises en abîmes où ils incarnent un jumeau virtuel, lui même écrivain, racontant ses déboires avec son éditeur, mettant un point final à son roman, en plein salon du livre avec ses lecteurs. Certains prennent plaisir à jouer les monstres, d'autres préfèrent parler de leurs proches ou encore de leurs souvenirs.
Certains par contre n'ont pas vraiment joué le jeu, incarnant juste n'importe quel personnage lambda, se contentant de lui donner leur prénom ou de parler de lui à la première personne du singulier. Ce qui ne veut pas dire pour autant que sa nouvelle était ennuyeuse.

L'une de mes préférées a été celle du Québecois Hervé Gagnon. Son alter ego, un auteur répondant au nom d'Edgard Wagner, est abasourdi en entendant aux informations que Blanche Neige et les sept nains allait être interdit sous toutes ses formes, le film portant préjudice aux personnes de petite taille. Alors Edgard se met à rédiger un long pamphlet libérateur en se posant des questions humoristiques sur ce qu'ont devrait interdire par mesure de tolérance, pour ne heurter personne. Retirer Obélix et le père noël qui pourraient offusquer les obèses ? Ne plus vendre les chaussures par paire par respect pour les unijambistes ? Si le bikini est aujourd'hui considéré comme sexiste alors la burka peut-elle être le symbole de la libération de la femme ?
"On réécrit Barbe bleue pour cause de violence conjugale ?"
Et son discours n'en finit pas de parler de toutes les minorités, de tous les courants sexuels si nombreux qu'il n'y comprend plus rien, et ce qui en ressort avec un humour acide c'est que la tolérance ne se demande pas pour tout et à n'importe quel prix, et qu'il ne faut pas rendre l'homme blanc hétérosexuel responsable de tous les maux.
Je l'ignore mais j'emets l'hypothèse qu'Hervé Gagnon a été probablement énervé après les accusations de racisme à l'encontre d'Annie Cordy, d'Hergé, ou d'Agatha Christie qui s'était appuyée sans aucune arrière-pensée sur une vieille comptine de 1869 quand elle rédigea les dix petits nègres. Ou encore des accusations de pédopornographie complètement infondées auprès d'un de ses confrères écrivain, Yvan Godbout, dont le livre Hansel et Gretel avait été interdit provisoirement.

Ils sont deux à rêver du prix Goncourt dans ce recueil.
D'abord il y a Victor Guilbert, persuadé qu'Urinoirs pour dames fera un très bon titre pour le prochain prix et qui, sous l'effet de psychotropes, écrira frénétiquement l'histoire de Solange, dame-pipi à l'aéroport de Roissy, pleinement épanouie par son métier, sa vocation. Il apprendra parallèlement que son richissime voisin n'est autre que Guillaume Musso, et se mettra en tête de lui voler son manuscrit. Quiproquos et sourires garantis !
Si vous l'ignoriez, Fred Mars, auteur de la lame mais aussi de nombreux manuels de sexologie, et Mö Malö, auteur bien français de polars nordiques, ne font qu'un. Mais ils se dissocieront dans "Le point G" et accueilleront à leur table Emma, romancière de livres érotiques, afin de réunir leurs talents respectifs pour régiger le futur Goncourt à six mains. Ce qui est bien sûr formellement interdit. Arriveront-ils à écrire le texte parfait sous une seule identité ?
Là encore, un texte qui détend, à lire avec beaucoup de second degré. Mais on y apprend aussi plein de petites choses sur le Goncourt.

Autre auteur aux multiples identités, avec lesquelles il va d'ailleurs jouer tout en s'amusant avec le lecteur, Ian Manook et Roy Braverman, son alter ego qui écrit désormais des thrillers à l'américaine. Lui va voir son appartement se remplir peu à peu des personnages issus de son imaginaire alors qu'il est en pleine crise de la page blanche. Et ses personnages ont des exigeances. Blanche par exemple en a assez de se faire défoncer le cul dans une scène mièvre que l'auteur n'a de cesse de réécrire. Son amant se rebelle également et exige un twist dans lequel il tomberait amoureux d'un homme d'église, même s'il n'y en n'a pas le moindre dans le livre en cours.
Paradoxalement, l'auteur se défend ainsi : "C'est moi qui décide de qui vit et qui meurt dans mes romans", autrement dit il est le seul maître à bord.
Mais il explique aussi en conférence de presse que "Ce sont mes personnages qui décident de mes romans." Encore une nouvelle totalement barrée d'un auteur qui s'en donne à coeur joie en donnant vie à ses personnages.
Marlène Charine choisira une formule approchante puisqu'un soir trois de ses personnages récurrents ( Tombent les anges et Inconditionnelles sont publiés chez Calmann Levy ) prendront corps sur la banquette arrière de son véhicule et auront eux aussi des exigences, notamment de faire partie de son quotidien comme des personnes à part entière. Mais comment les présenter à sa famille ?

Quelques uns ne s'éloigneront pas de leur terrain de jeu favori et resteront dans le polar, au sens large du mot.
C'est le cas de Damien Eleonori qui va mettre en scène un double interrogatoire, celui du couple Barent interrogé par un commandant suite à la disparition d'une jeune femme à proximité de leur domicile, peu après y avoir été invitée. Mais où est donc l'auteure dans tout ça ?
Même question dans la nouvelle "dernière limite" de Ludovic Lancien, où il est question d'un cauchemar onirique dans lequel Lucie croise le jeune Adam dans un état de putréfaction avancé, qui la maudit avant de s'enflammer sous ses yeux. Elle se verra également dans un cimetière s'arracher les ongles pour creuser dans la terre sous laquelle repose le corps de sa mère. Et ainsi se succèdent les épisodes anxiogènes de Lucie, enfermée dans son imaginaire infernal.
Et Angelina Delcroix, qui a été criminologue et psychothérapeute, reprend le temps de son histoire sa casquette de psy. Parmi ses patients, Maxine, seule au monde et qui manque cruellement de confiance en elle. Alors que la déontologie l'interdit, Angelina va nouer un lien très fort, presque amical, avec cette femme. Elle se sent également responsable parce qu''il semblerait qu'un autre de ses patients, peu avenant, peut-être psychopathe, les ai pris pour cibles Maxine et elle.

Les salons littéraires et les fans perturbés serviront de terrain de jeu à Barbara Abel, Amélie Antoine et Salvatore Minni.
Sous forme d'anecdotes, les trois auteur(e)s se souviennent de rencontres un peu particulière.
-"Comment une si charmante personne peut-elle imaginer des trucs pareils ?" Nous rigolons souvent, mon amie et consoeur Karine Giebel et moi, de cette phrase récurrente qui semble nous définir comme deux monstres déguisés en romancières cordiales et sympathiques - écrit Barbara Abel, souvent en compagnie de la Varoise et du farceur François-Xavier Dillard dans les salons. Un jour elle fera la rencontre plus originale d'une lectrice prénommée Bérénice et de fil en aiguille, les deux femmes se rendront compte que l'imagination littéraire de l'une coïncide avec la vie bien réelle de l'autre. Leurs prénoms, celui de leurs conjoints, leurs professions et bien d'autres détails encore. Et connaissant Barbara Abel, pas toujours tendre avec ses personnages, la lectrice veut s'assurer qu'il ne va rien lui arriver de grave. Comme si sa vie était dictée par la Belge. Alors ? Simple coïncidence ? Piège ? Et dans le cas contraire quelles concessions faire sans dénaturer son style ? Un petit bijou !
Amélie Antoine nous relate quant à elle son quotidien avec son conjoint et leurs enfants, ainsi que ses angoisses qui perturbent son comportement et la rendent agressive, invivable.
Elle a en effet reçu l'inquiétant message "Souviens-toi l'été dernier" dans sa boîte aux lettres. Ou plus précisément "Je sais ce que tu as fait. Il est temps de payer." Même chose sur messenger. Un véritable harcèlement. Et ça n'est pas le premier puisqu'un fan obsessionnel ( je précise ici quand même que ça n'était pas moi ) se rendait à chaque salon pour la rencontrer et passer du temps avec elle où que ce soit, imprimait chacune de ses photos disponibles sur internet ou ailleurs après l'avoir fait agrandir. D'abord flattée, elle a ensuite appréhendé chacune de ces rencontres. Est-ce qu'il serait de retour ? Quel secret cache Amélie ? En dépit d'une fin un peu convenue encore une réussite que cette nouvelle où la Lilloise nous confie un peu de son quotidien, tout en nous livrant une autre facette d'elle-même.
Monsieur Concerto. C'était le nom d'un des principaux personnages du roman Claustrations de Salvatore Minni. Qui vient de finir de rédiger son troisième "one-shoot". Ses romans ne sont pas destinés à avoir de suite ou d'enquêteurs récurrents. Lui aussi reçoit d'inquiétants courriers. "Tu sais ce que j'attends de toi."
Jennifer est une fan, et quand il la rencontre à un salon du livre elle est particulièrement insistante : Elle veut retrouver ce fameux Concerto dans un prochain livre. Et l'auteur a beau lui expliquer que ça ne sera pas le cas elle continue à insister lourdement. Victime de vandalisme, Salvatore Minni se demande forcément si tout ne serait pas lié.

Passé, présent et futur : Trois choix pour des auteurs qui incarnent leur propre personnage dans des versions légèrement différentes.
Ainsi Vincent Radureau, entré au service des sports de Canal + en 1992, se souvient d'un des premiers matchs qu'il a commenté. Lady Diana était encore en vie, le tunnel sous la Manche toujours en cours. Et ce jour-là à Manchester s'affrontaient les deux équipes de la ville ( City et Chelsea ). Y jouait alors un petit français du nom d'Eric Cantona. Et le journaliste également auteur de deux romans noirs raconte dans une version peut être un peu exagérée comment il a failli arriver en retard en négligeant le décalage horaire ... et en étant poursuivi par des hooligans dont il avait percuté la voiture en oubliant un instant de quel côté on roulait en Angleterre. Pas alléchant dit comme ça mais au final on a un véritable petit thriller.
Petite scène de famille au présent pour Nicolas Druart ( L'enclave, Nuit blanche, Jeu de dames ). Il incarne son propre rôle de papa d'une adorable fillette de trois ans à qui il va acheter un tipi à la brocante, elle qui adore jouer aux indiens. Et ce malgré les avertissements du vendeur qui ne voulait pas mettre l'objet réputé maléfique en vente. Pas la nouvelle majeure du recueil.
Guillaume Ramezi se projette quant à lui en 2049 où il sera en mission spatiale, et bientôt le premier homme à mettre le pied sur mars. Si du moins tout se passe comme prévu.

Les deux dernières nouvelles, signées Mathieu Parcaroli et Ophélie Cohen, ont trait à la violence conjugale. Et on peut vraiment les rapprocher à plus d'un titre.
L'un commence par un meurtre, le second par un enterrement dans le jardin.
Tous les deux racontent l'escalade dans l'horreur.
"Pour tout et surtout pour rien, il me frappait, m'injuriait, me rabaissait." ( Parcaroli )
"Où que 'aille, il allait. J'étouffais mais je ne pouvais pas le quitter." ( Cohen )
Dans les deux on retrouve le cheminement habituel du pervers narcissique qui prive sa victime de liens extérieurs. Les amis disparaissent.
Les auteurs ne sont pas vraiment présents. L'auteur de "Le cri des corbeaux" a été témoin au mariage qui s'annonçait pourtant heureux. Quant à Ophélie Cohen, elle raconte une histoire à la première personne du singulier mais cette nouvelle ayant remporté un prix et clôturant le recueil, j'imagine qu'il faut la voir comme un cadeau aux lecteurs.
Et dans les deux cas, il ne s'agit pourtant pas de la violence domestique au sens où on l'entend habituellement. En particulier le couple dans "Lui et moi" signé par l'auteure d'Héloïse. Encore deux écrits de qualité.

Et c'est d'ailleurs le cas, honnêtement, des trois quart de ce recueil, il n'y a que quatre ou cinq textes qui n'ont pas remporté ma totale adhésion mais ils ne m'ont pas non plus ennuyé pour autant. Et c'est vraiment très rare une telle homogénéité sur cinq cent pages et dix-sept nouvelles. Il n'y a pas beaucoup d'auteurs connus mais il ne suffit pas de commander des histoires aux dix écrivains les plus vendus pour assurer la valeur d'une anthologie. Bien au contraire.
Si vous êtes convaincu de ne pas aimer les histoires courtes, trop souvent déçu, accordez leur une dernière chance avec Storia 2022. Au pire des cas vous aurez fait une bonne action.
Son seul défaut au final c'est que si vous avez déjà comme moi un an de lecture devant vous, vous allez avoir envie de découvrir encore d'autres auteurs.
Avouez qu'il y a pire comme reproche.

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