Je pourrais dire je t’aime comme on le dit.
Mais ce serait mensonge.
Je n’aime pas comme ça.
Le dire à la Prévert,
et ce serait « fenêtre » et encore « fenêtre » dans le grand mur du temps.
Mais je ne copie pas.
Ou comme Léonard « L’amour triomphe de tout »
et ce serait la fin des peurs.
Mais j’aurai l’ai maline avec mes inconfiances !
Le dire en confidence,
de ciel à terre, à l’eau de rose ou de lilas.
Mais je fuis les arlequinades.
Des mots usés à ceux usants,
je choisis l’évadé, l’exilé, le rebelle.
Entre les miettes de faim, je veux la table mise,
la citrouille pour la soupe et le prince à vélo.
Les chaussures de danse sans le bal des vampires.
Je pourrai dire je t’aime
la consonne blottie entre l’air des voyelles.
Mais je respire large.
Alors je ne dis rien, pour que ce soit plus grand.
Ou je le dis à la manière des enfants,
infiniment,
dans le soleil ailleurs.
Je traverse la béance du jour. La créance du vide. Les tempêtes s’agitent dans l’état d’être. Je suis l’animale inquiétude, la douceur de mémoire, le bonheur à l’instinct. Je traduis je t’aime par le mot inconnu. Il frissonne de la part manquante ou ajoutée. Je comprends tout jour sans le connaître. Chaque lettre déclinée jusqu’à la voix des mains invente un poivre vif. Cet éternuement.
Bleu.
Toute pensée, tout geste marche en terre brûlante, lumière silencieuse, incontournable amour. Plus haut que les tiédeurs, les habitudes, loin des fioritures, du collectif, au-dessus des glaces, des feux, sans apparences ni contorsions je veux. Le simple rayonnant. Le tour de force de la bonté. Poivre bleu, le livre dira peu. J’écrirai encore.
Le texte
"Je veux toi pour tisane. Le sucre de ta peau, ton goût de tabac d'arbre, le chat de ta gorge enroulé sur mon cœur, le chant de ton cœur déployé sur ma gorge, tes bras ouverts comme une table, tes pas de loup de nuit, ton sol précis sur mes graines de rêves, tes doigts sourciers sur mes glaises de soif, tes mers sur mes escales, tes bois à découvrir, mes rives à t'accueillir. Je veux tes mots revisités de fraises, tes mots rougis incendiés de neige. Je les veux qui enflamment qui touchent et qui m'existent. La sève de tes mains pour redevenir liane, l'arbre le fruit et la racine, le paysage en route, l'aimer à double tour d'où l'on ne sort jamais. Je veux le seringa troublé d'eau et de blanc, l'affolée de parfums de pollens et de miel, cette abeille innocente qui pille les corolles. Et plus que le désir, plus que le ciel à dire, plus que le tout à vivre, encore plus que le trop, je veux l'hiver épris des puissances d'été. Tes mains ouvertes, offertes pour les remplir de moi.
Mes mains ouvertes, offertes pour les remplir de toi. Pour me réinventer, je veux toi pour m'écrire et m'aimer sans boussole. Tes instances de vivre renversées sur mon souffle. Tes mots de pain nouveau accordé à ma faim. Tes yeux pour vêtement. Je veux toi pour tisane. Je veux toi au présent."
Extrait - Ile Eniger - Le bleu des ronces
Éditions Chemins de Plume
yrendunn
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