Dans le silence du vent, par
Louise Erdrich. Un bon roman est souvent un entrecroisement d'histoires, de thèmes, d'époques, qui donnent lieu à des constructions subtiles ou astucieuses, en tous cas élaborées. Là, un évènement dramatique et ses versants psycho-affectif, juridique et culturel sont l'occasion de suivre son impact sur une famille, de voir évoluer une bande d'adolescents et d'observer le quotidien d'une réserve indienne, tribu des Ojibwés, en 1988, dans l'état du Dakota du Nord. L'auteure, amérindienne par sa mère, ayant elle-même été élevée dans une réserve, son passé constitue une bonne part de son inspiration littéraire.
Le noyau du roman est l'agression et le viol de Géraldine Coutts, la mère de Joe, le narrateur, et la femme d'un juge tribal. Tandis que Géraldine s'emmure dans une régression mutique, le père et le fils s'emparent de l'enquête, suivent la piste du nouveau curé qui s'avère fausse, mettent la main sur Linden Lark, un non-indien louche, cynique, paumé, amoureux et jaloux d'une jeune fille qui disparaît. Tuée ? Probablement ! Mais Linden Lark ne reste pas longtemps à l'ombre, car la loi interdit à un tribunal tribal de juger un non-indien qui n'a pas commis son crime sur le sol indien. Or le découpage des terres de la réserve permet le doute. Cette ”innocence” parfaitement injuste est l'occasion du cri de rage empreint de férocité de Joe, qui ne rêve que de vengeance.
Dans une postface,
Louise Erdrich précise qu'une femme indienne sur trois subira un viol dans sa vie, viol commis par un non-indien dans la très grande majorité des cas.
L'intrigue progresse autour de Joe et ses potes, ados turbulents, qui se pensent missionés, voudraient agir comme des adultes, nous touchent par leur sens des responsabilités mâtinés d'espièglerie. Ils vengeront la famille de Joe et la communauté, mais paieront cher leur témérité et leur insouciance quand ils voudront kidnapper la petite amie d'un des leurs.
Au-delà de l'intrigue, on appréciera une vision juste de l'adolescence, entre recherche d'autonomie, attachement émouvant à la famille, à la tribu et goût pour le jeu : ballades et figures à vélo, baignades dans l'étendue d'eau, blagues, éveil à la sexualité, plaisir à participer aux fêtes traditionnelles, etc.
Et puis on appréciera cette pénétration dans une réserve indienne où nous invite
Louise Erdrich, ce lieu que l'on imagine comme un ghetto, mais où l'on vit, où l'on aime, où l'on travaille, où l'on se réjouit, où l'on s'entraide dans les moments difficiles, où l'on se forge une identité avec fierté, où l'on respecte des traditions, des légendes véhiculées par les anciens, une culture, une langue, tout en ayant adopté l'American way of life (télé, voiture, église, fast food…).
Un livre riche, dense, captivant, malgré une fin tragique, peut-être artificielle (une habitude chez
Erdrich ?).