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EAN : 9782902706945
290 pages
Bibliothèque publique d'information du Centre Pompidou (15/11/1995)
4/5   1 notes
Résumé :
La méfiance traditionnelle qui entourait la circulation de l'écrit en milieu carcéral laisse la place aujourd'hui à l'affirmation d'un véritable « droit à la lecture ». Le livre est ainsi arraché à la marginalité qui le constituait comme un complément facultatif à la pratique religieuse ou comme l'expression d'un retrait du monde : il est au contraire défini comme la condition d'accès à toutes les formes d'activité relationnelle et comme le support du réapprentissag... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
La sociologie de la lecture en prison n'intéresse-t-elle qu'une poignée d'intervenants ou les détenus eux-mêmes ? Je ne le crois pas. le livre de Jean-Louis Fabiani et ses collègues, « Lire en prison », peut, en convertissant assez radicalement le regard que nous portons sur l'action culturelle, remettre en questions notre propre posture de lecteur, de personne cultivée et d'être libre.


Pour comprendre en effet comment aujourd'hui sont distribuées les différentes formes de capital culturel, il faut s'intéresser, comme le suggérait Michel Foucault, aux diverses résistances à leurs modes d'attribution. Il ne faut pas considérer la lecture du point de vue de sa rationalité interne (celle du champ littéraire, historique, critique, que sais-je) mais du point de vue de l'exclusion. Il s'agit d'examiner cette résistance à l'écrit comme un révélateur « qui permet de mettre en évidence les relations de pouvoir, de voir où elles s'inscrivent, de découvrirent leurs points d'application et les méthodes qu'elles utilisent ». A cet égard, faire l'inventaire de la non lecture, dans un lieu de privation de liberté et qui plus est pour des personnes extrêmement démunies culturellement, est une bonne façon de rendre compte de ce que l'écrit comporte de violence et de domination. Cet inventaire suppose en ce cas une véritable révolution copernicienne par rapport à l'approche cartésienne consistant à caractériser l'écrit du point de vue de la lecture et de l'écriture, puisque le champ de l'écrit se découvre dans cette nouvelle perspective inversée du point de vue de ce qu'il n'est pas et de ce qu'il exclut, le quasi illettrisme et l'hétérogénéité certaine à l'écriture. Aussi, cette recherche révèle-t-elle à mon avis un rapport éminemment nouveau, pratique et socialement différent au texte .


L'univers judiciaire et carcéral est sans conteste un univers de mots. Les prisonniers doivent, par écrit, se raconter et ils sont, par écrit, sans cesse racontés. Cette situation, tout à fait inédite, constitue pour le sociologue de la lecture et pour nous même un passage à la limite tout à fait éclairant. C'est à partir de la rupture biographique qu'engendre l'incarcération qu'il est en effet possible de comprendre la relation des détenus et plus ordinairement celle de tous les autres faibles lecteurs au livre. La lecture pour les classes populaires semble bien être un instrument plus qu'une valeur. L'usage du texte est pragmatique, la demande d'informations le plus souvent générale. Il faut trouver le sens des mots, préparer son procès, envisager sa vie future, tenter de se reconstruire.


Les prisonniers en matière de livre exigent l'authenticité. L'identification entre lecteur et histoire constitue plus largement une ressource spirituelle incontestable pour tous les perdants de la société. L'écrit, pensent-ils, doit donner un sens à leurs existences socialement contestée. Aussi, indifférents à la forme, les faibles lecteurs privilégient le plus souvent l'éthique à l'esthétique. Leur exigence morale est double : morale de l'auteur qui ne doit pas abuser de sa position pour broder ; morale de l'histoire qui doit laisser leur chance, leur dignité ou leur droit à la parole à ceux que le destin a frappé.


Enfin, pour comprendre en quoi consistent aujourd'hui les relations de pouvoir, il faut s'intéresser, comme le suggère aussi Michel Foucault, aux formes actuelles de résistance à l'autorité. L'analyse détaillée du fonctionnement des bibliothèques en milieu fermé révèle que le principal objectif de cette résistance est en vérité moins de s'attaquer à l'institution carcérale qu'à une technique particulière de domination. Celle qui consiste à classer définitivement les individus en catégorie, à leur attacher une identité, à leur imposer une loi de vérité qu'ils sont obligés de reconnaître et que les autres doivent reconnaître en eux. L'institution carcérale traite le détenu comme un sujet pourvu d'une histoire, d'une trajectoire singulière qui permet de rendre compte du comportement qui l'a conduit à la prison. le détenu, lui, à juste titre, refuse d'être identifié comme cela. Deux attitudes de résistance et de recomposition de soi sont à l'oeuvre en prison : le détenu se tient à distance de ces discours autorisés ; le détenu à une attitude active et il peut ainsi utiliser la lecture comme mode de médiation, de consolation ou de réconciliation avec lui-même. La fréquentation de la bibliothèque de prison peut autoriser également ce qu'Erving Goffman appelle des adaptations secondaires. le détenu développe alors des tactiques en vue d'obtenir une marge d'autonomie au sein de cette institution totale (contacts, liberté de circulation, échanges, etc.). Il obtient des satisfactions interdites ou des satisfactions autorisées par des moyens interdits s'opposant ainsi aux adaptations primaires requises par l'institution (amendement, réinsertion, obéissance, conversion).


L'enquête sociologique de Jean-Louis Fabiani et ses collègues nous dessille les yeux. La croyance perdurant selon laquelle les détenus, les perdants de la société pourraient être profondément transformés par l 'expérience carcérale et convertis par la culture, est un mythe . La figure du converti à la culture en prison, au chômage ou à la rue apparaît toujours comme une fiction régulatrice destinée à conférer à notre société inégalitaire une forme d'acceptabilité minimale.
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