La société capitaliste tue le rire, ce qui est la marque d’une rupture démocratique grave. À peine apparu sur les écrans, le visage de Chaplin-Charlot est déformé par le mercantilisme qui frappe de plein fouet toute vérité humaine et sociale. L’être humain, happé par un conditionnement généralisé, harcelé de laideur, est conduit à consentir, du fait de la menace atomique, à sa propre extinction et négation.
« Je crois le moment venu de dresser un bilan du monde tel que je le vois aujourd’hui. Les complexités de plus en plus nombreuses de la vie moderne, le rythme effréné du XXe siècle font que l’individu se trouve cerné par des institutions gigantesques qui le menacent de tous côtés, sur le plan politique, scientifique et économique. Nous devenons les victimes du conditionnement des âmes, des sanctions et des permissions.
Cette matrice dans laquelle nous nous sommes laissé mouler est due à un manque d’intuition culturelle. Nous nous sommes lancés aveuglément dans la laideur et dans l’entassement et nous avons perdu notre sens esthétique. Notre sens de la vie a été émoussé par l’appât du gain, le pouvoir et le monopole. Nous avons laissé ces forces nous envelopper sans nous préoccuper le moins du monde des redoutables conséquences que cela pourrait avoir. La science, privée d’une orientation réfléchie et du sens des responsabilités, a remis aux politiciens et aux militaires des armes de destruction telles qu’ils détiennent entre leurs mains le destin de toutes les créatures vivantes sur terre. […]
L’homme est un animal aux instincts de survie primitifs. Son ingéniosité s’est donc développée d’abord, et son âme ensuite. Ainsi le progrès scientifique a-t-il une avance considérable sur le comportement moral de l’homme. »
Il est frappant de voir combien ces analyses de Chaplin visent juste et permettent de lire en profondeur l’évolution d’une société où tout, y compris l’être humain, devient marchandise, qui consent à ce que le philosophe Günther Anders, à la même époque, nomme « l’obsolescence de l’homme ». De même, l’accent mis sur le décalage entre le progrès scientifique et son évolution morale rejoint les analyses de philosophes, tel Anders, dont on découvre aujourd’hui la modernité. Chaplin, lorsqu’il développe de telles analyses engagées, montre la profondeur du comique qui est le sien. Celui-ci est le levier qui permet d’exhumer le monde tel qu’il est, il est un révélateur politique.
Pour beaucoup d’entre nous, Charlie Chaplin se confond avec le personnage de Charlot, surnommé aux États-Unis, de manière plus impersonnelle, The Tramp, le vagabond.
Pourtant, ce personnage est loin d’occuper toute la filmographie de Chaplin qui est aussi un grand réalisateur.
Charlot efface Chaplin du fait même de son succès précoce auprès du public, au cours des premières années du cinéma naissant. Charlot est, sans nul doute, l’un des mythes cinématographiques du XX e siècle qui occupe une juste place dans notre imaginaire collectif.
Charlot est lui-même un exilé de la vie et de la vérité humaine que bafouent le fonctionnement de la société industrielle, le machinisme et la recherche du profit. S’il sera d’abord l’émigré pauvre qui occupe tous les emplois pour survivre, il incarnera aussi, dès la fin des années 1920, le chômeur victime de la crise de 1929 ou le travailleur à la chaîne. C’est que le tramp incarne, dans sa pantomime burlesque, le sentiment diffus partagé par les contemporains de Chaplin de vivre une déshumanisation que certains nomment pourtant une « humanité nouvelle ».
On osera une hypothèse jamais faite dans les biographies de Chaplin. Il faudrait, en effet, rapprocher le personnage du tramp de la vision de l’être humain que donnent certains livres parus entre la fin du XIX e et le début du XX e siècle. Des ouvrages tels que The New Man, A chronicle of the Modern Time de E. Paxons Oberholtzer (1897) ou The New Man. A portrait study of the Latest Type (1913) de Philip Gibbs expriment une même vision désenchantée du nouvel homme caractéristique d’un nouveau siècle. Cet homme nouveau, privé de l’autorité paternelle, sous l’emprise de « la femme nouvelle », est à présent l’homme du destin.
« Mais de quel destin ? L’homme nouveau ne le sait pas. Il ne peut même pas tenter de l’imaginer, bien qu’il soit fébrilement, craintivement et anxieusement désireux de le savoir. L’homme nouveau, à la différence de son père et de ses ancêtres, n’a plus de conviction ferme. Il ne peut plus faire appel à une autorité qui le guide car il a refusé toutes les autorités. Il n’a pas de foi absolue et inébranlable, car il ne trouve pas les preuves qui le convainquent sur un dogme de la foi, quel qu’il soit. […] L’homme nouveau s’en va ainsi à la dérive, comme un navire sans gouvernail, changeant de direction à chaque fois que le vent tourne, sans jamais atteindre un port certain, flottant sur la vaste mer du doute. »
Autrement dit, l’homme nouveau est un vagabond, privé de sens, donc de parole, sans voix, incapable de se frayer une voie à la surface du monde.
Voilà pourquoi Chaplin demeurera si attaché au muet et résistera à l’avènement du cinéma parlant, au point de persister à faire un film muet tel que Les Lumières de la ville (1931). Le muet n’est pas seulement pour lui une technique cinématographique. Il est une esthétique, il raconte la condition de l’homme réduit à une pantomime parce qu’il n’arrive pas à coïncider avec lui-même, enfile les rôles et les identités et se maintient aux marges d’un monde qui déshumanise les êtres. Le muet n’est pas un manque, une simple étape dans l’accomplissement technique qui mène au cinéma parlant. Il illustre, pour Chaplin, une esthétique qui exprime la tragédie de la parole, la blessure infligée au langage par l’avènement d’un monde industriel et d’une logique économique qui déshumanise les êtres.
Chaplin, son installation faite, coupe les derniers liens qui le reliaient encore avec les États-Unis. Il se rend chez le consul américain et lui restitue son permis d’entrée en l’informant qu’il renonce à être résident permanent aux États-Unis. Oona, de son côté, décide, malgré les préventions de son mari, de renoncer à la nationalité américaine. Lorsqu’on lui demande si les États-Unis lui manquent, Chaplin répond par la négative tant, pour lui, ce pays a radicalement changé sous la pression du progrès technique et d’un capitalisme triomphant :
« Des amis m’ont demandé si les États-Unis me manquent, ou New York. En toute franchise, non. L’Amérique a changé, et New York aussi. Les proportions gigantesques qu’ont prises les institutions industrielles, la presse, la télévision et la publicité m’ont complètement coupé de la conception américaine de la vie. Ce qu’il me faut, c’est l’autre face de la médaille, un sens de la vie personnelle plus simple, et non pas les avenues ostentatoires ni les immeubles titanesques qui rappellent à jamais les grosses affaires et leurs pesantes réussites. »
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