La grande question sur l'événement a été, depuis le départ, de savoir quelle était sa part d'assise populaire. L'enjeu étant, évidemment, d'en déterminer la légitimité.
Dans un travail fouillé et sérieux, Ferro est un des rares historiens français qui a sauvé la face de la littérature spécialisée en France sur le sujet.
« le succès de la révolution d'Octobre ne vient pas seulement d'en haut en effet. J'en ai découvert le double foyer : celui des organisations, des partis, des syndicats ou des comités d'usine, sorte de contre-pouvoirs virtuels face au gouvernement, et celui, par en bas, des soviets (ou comités), qui s'étaient créés un peu partout et qui se sont eux-mêmes solidifiés et bureaucratisés, très tôt, dès avril 1917. Dans chaque quartier, il y avait un comité de quarante à cent personnes, vers lequel les gens convergeaient pour demander un logement ou le paiement d'une pension. Au bout d'un certain temps, certains membres du comité, mieux informés, connaisseurs des dossiers, sont devenus permanents, se sont bureaucratisés. le jour où
Lénine organise l'insurrection, il lui faut des relais : ce seront ces responsables des comités de quartier. Ils ne sont pas forcément bolcheviks mais ont tout à perdre si la révolution échoue […] Quant à l'adhésion des masses à la révolution, on peut parfaitement la mesurer, en donnant le nombre de Soviets de la capitale et de la région qui ont participé à l'insurrection, soit plusieurs centaines, ce qui est vraiment massif. Pour la terre les paysans s'étaient servis tout seuls, sans connaître les programmes des SR ou des bolcheviks, mais
Lénine assume leurs actes. Avant octobre, les fraternisations dans l'armée pour mettre fin à la guerre, les grèves dans les usines pour de meilleurs salaires, tout cela colle aux besoins des classes populaires. Cette adéquation rend compte de la popularité de
Lénine et des bolcheviks […] Il y a de la violence dès février. Puis la violence monte de plusieurs crans, pour autant que se manifeste une résistance aux progrès de la révolution. À partir du moment où les propriétaires terriens font traîner la réforme agraire, que l'on attend interminablement l'arrêt de la guerre, ou que les patrons disent ne pas avoir d'argent et que les augmentations n'arrivent pas, quand de surcroît on réprime ceux qui protestent contre ces lenteurs, alors la violence se développe, mais elle n'est pas purement bolchevik. Ce qui est purement bolchevik, c'est de ne rien faire pour la freiner, alors que les partis politiques traditionnellement la canalisent. À propos de terreur, il ne faudrait tout de même pas oublier la terreur blanche, celle de la contre-révolution, contemporaine d'une violence rouge qui est venue d'en bas. Par en haut, il y eut en outre une terreur particulière, celle menée contre les autres partis politiques. Mais ce n'est que lorsque Staline va l'exercer à l'intérieur même du parti bolchevik que l'on va véritablement prendre conscience de l'extension de la terreur. »
« A l'insurrection ont participé 1600 gardes rouges, 706 marins de Kronstadt, 47 unités militaires, 12 comités d'usine, 5 comités de quartier, une vingtaine de comités divers, des groupes anarchistes, une minorité de syndicats. C'est donc bien une révolution, la révolution d'Octobre, qui accompagne le coup d'État. Et quand le IIe congrès se réunit au son du crépitement des fusils et des mitrailleuses, le 25 octobre, le croiseur Aurora pointe ses canons sur le palais d'Hiver. Un hourra accompagne ce symbole d'une victoire militaire. Acclamé,
Lénine arrive au IIe congrès où ls bolcheviks disposent d'une majorité absolue avec 390 membres sur 673. Martov dénonce un coup d'État militaire. le bureau s'installe. Puis Trotski lance son invective historique : « A ceux qui protestent contre ces événements, allez où vous devez vous trouver, dans les poubelles de l'histoire ».
Lénine, Trotski, Sverdlov apparaissent comme les nouveaux chefs de la révolution. Les soviets les acclament follement. le 26 octobre, pendant la dernière séance du congrès,
Lénine annonce que l'heure de la révolution socialiste est venue. Il lit son décret sur la paix, proposant à tous les peuples et à leurs gouvernements d'entamer des pourparlers en vue d'une paix juste et démocratique. Il lit également son deuxième décret, qui « abolit immédiatement la grande propriété sans indemnité » et remet la terre aux comités agraires, qui dans ls faits l'ont déjà confisquée. »