Ce livre est un témoignage poignant d'une petite fille, d'une femme, d'une mère. Ces 3 figures sont une seule et même personne :
Laurence Finet, femme de Frédéric et maman de 4 enfants, qui aura vécu en Alsace, puis à Dakar, à Berlin, à Paris et enfin à La Madeleine. Une femme qui a eu du mal à devenir maman (plusieurs fausses couches).
Dès le début du livre, on perçoit le caractère de Laurence : une jeune femme qui ne s'affirme pas, qui n'ose pas, qui ne s'impose pas. Suite à un accident au ski, elle se fait opérer du genou et doit rester chez elle le temps de récupérer et de la rééducation. C'est là qu'elle commence à rencontrer quelques problèmes de santé, à l'aube de ses 45 ans : des difficultés à manger, des nausées, des vomissements. Elle consulte. le résultat tombe : dépression. Elle ? Comment est-ce possible ? Non, ce sont les faibles qui sont en dépression, pas elle.
"Mon appétit et mon insouciance ne reviendront qu'avec l'aide d'un psychothérapeute. Cette idée me hante. Que m'apporterait un psy, si ce n'est des contraintes ? Je devrais m'astreindre à des séances longues et coûteuses, pour un résultat somme toute dérisoire. Quel avantage à me dévoiler ? Je pense me connaitre."
Malgré elle, elle accepte de consulter car des bribes de son enfance commencent à remonter à la surface. On y découvre une enfance malheureuse : la maltraitance de ses parents, les punitions corporelles abusives, et ce dès le plus jeune âge. On apprend que sa fratrie ne se résume pas qu'à Bruno et ses parents : elle avait deux autres frères, Serge et Michel, qui se sont suicidés pour l'un, quand elle avait 17 ans, et l'autre 12 ans après. Elle ne comprenait pas bien encore la raison de ces gestes à l'époque, mais là, tout devient plus limpide : la pression des parents pour les études, l'humiliation par les mots, par les coups ont eu raison de Serge. Michel, sur lequel reposait ensuite tous les espoirs d'étude de la famille s'est éloigné de ce côté studieux, mais le passé a été plus fort que lui, et il est également passé à l'acte.
Mais elle se sent coupable : comment a-t-elle pu parler de tout cela à quelqu'un ? Comment a-t-elle pu dire des choses si monstrueuses au sujet de ses parents ? Ils l'aiment, s'ils lui faisaient subir ces punitions corporelles, c'est qu'elle le méritait, qu'elle en avait besoin. Et bien évidemment, son mari n'est au courant de rien.
Suite à une nouvelle consultation, elle parle des rapports incestueux que son père a entretenu avec elle, également depuis son plus jeune âge (bien avant ses 6 ans) et ce jusqu'à sa rencontre avec Frédéric à l'âge de 24 ans. Elle se sent honteuse : comment a-t-elle pu laisser continuer ce scénario des années durant sans ne rien dire ? Elle a trompé sa mère, "baisé" son père, sans jamais se rebeller.
Elle finit par avouer à son mari toute son enfance, tout ce qu'elle a subi pendant des années.
Bien qu'elle se soit ouverte, la culpabilité la ronge. Et elle doit subir des examens médicaux complémentaires car ses symptômes sont toujours présents et elle sent une boule au niveau de son aisselle. le cancer est évoqué, mais elle est trimbalée de service en service. Elle subit également une fibroscopie, qui se passe mal : le docteur ne prend pas de gants avec elle, qui bloque sur cet examen. Pendant ce temps, elle imagine plein de scénarios : et si le fait d'avoir rouvert ces anciennes blessures lui fait du bien, c'est peut-être tout simplement cela, véritablement une dépression, ça va lui passer ; est-elle anorexique ? est-ce lié au stress ? et si c'était vraiment le cancer...
Un jour que son mari et elle attendent dans la salle d'attente d'un des nombreux médecins qu'elle rencontre, elle évoque le fait qu'elle serait contente que ce soit un cancer : avoir enfin un diagnostic, en finir avec tout ça. Et le couperet tombe : c'est bien un cancer, mais un cancer qui a attaqué l'estomac mais aussi le sein... Un cancer généralisé. le traitement adéquat : de la chimiothérapie palliative. le médecin lui donne un an, une seule petite année.
Ses beaux-parents la soutiennent, son mari également. Lorsqu'elle appelle ses parents pour leur donner des nouvelles, on les sent lointain, ils se plaignent de leurs maux sans comprendre ou sans vouloir entendre ce que Laurence est en train de vivre. Elle leur fait alors comprendre qu'ils lui ont fait mal pendant son enfance, ce qui entraîne une réaction incongrue au bout du fil : ils ont tout fait pour elle, pour qu'elle soit heureuse, et elle ose raconter ce genre d'ineptie ? Frédéric et Laurence sont interloqués.
Le traitement commence, et avec celui-ci, les effets secondaires et indésirables. Laurence tente de garder la tête hors de l'eau et continue de consulter. Sa culpabilité ne s'est pas atténuée, même après cette conversation avec ses parents. Elle tente de renouer contact avec eux une dernière fois, et cela explose : sa mère ne comprend pas sa réaction, elle dit à son père que plus jamais il ne lui fera de mal. Ce sera la dernière fois qu'elle aura de leurs nouvelles.
Les mois passent, et le cancer n'évolue plus. Les médecins tentent alors de la passer sous un traitement hormonal. Mais celui-ci ne fonctionne pas. Retour à la chimiothérapie.
Elle sort de sa dépression, la chimiothérapie est terminée. Elle envisage de reprendre le travail. Mais elle se rend compte qu'elle a changé, qu'elle ne souhaite pas refaire quelque chose dans lequel elle n'y trouve plus d'intérêt. Ecrire, elle souhaite écrire.
Le résultat sera ce livre, terminé 2 mois avant son décès en janvier 2015, quelques jours après son 47ème anniversaire.
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Ce livre est bouleversant, j'ai espéré avec elle, pour elle, que ce ne soit qu'une dépression. Jusqu'au bout, j'ai cru à sa rémission même si le fait de parler de chimiothérapie palliative ne laisse que peu d'espoir pour une happy end.
Et ses parents : comment ont-ils pu lui faire ça ? Comment les sévices de son père ont-ils pu durer autant de temps ? J'ai compris l'emprise que pouvait avoir ce genre de personnes, le fameux syndrome de Stockholm. J'ai eu mal pour cette petite fille, j'ai eu envie de la consoler. Mon seul regret : qu'elle ne leur ai pas tout balancé clairement à la figure. Elle a toujours parlé en sous-entendu avec eux.
Je tire mon chapeau à son mari, ses enfants, son entourage d'avoir su tenir bon pour elle, même si les moments n'ont pas toujours été faciles.