La phrase liminaire donne le ton : « La journée sera rude ». Elle devient une antienne qui ponctue tout le récit et débute chaque chapitre. Claire Fourier nous confie avoir fait siens les mots de son héros, Damiens, « un brave », pour « se sentir des ailes », au réveil. Mais qui est cette figure historique que l'auteure ressuscite avec tant de lyrisme, en retraçant sa vie ? Pourquoi a-t-il envoûté à ce point la romancière ?
Deux dates marquent le destin de Damiens : 5 janvier 1757 ( attaque du roi Louis XV) et 28 mars 1757 ( sa mise à mort ). L'écrivaine revisite un pan de l'Histoire.
On retrouve la vivacité, la pétulance de Claire Fourier quand elle apostrophe tantôt le supplicié, tantôt le lecteur, leur confiant ses pensées.
Mais aussi quand elle se met en scène, laissant libre cours à ses réflexions sur la vie, notre société. Elle aime observer ses contemporains, « ouvrant grand ses mirettes » et s'interroge sur le devenir de l'humanité, soulignant « le mal dont les humains sont capables », la peur des gens. Mais en optimiste, glisse un « I will survive ! »
Elle glisse des allusions à sa santé, à ses multiples examens redoutant le pire, vu « les milliers d'angoisses accumulées dans la vie », mais relativise. Elle nous confie ses goûts, comme la collectionnite de chapeaux ! Les digressions surgissent pour entendre les récriminations d'un mari qui a du mal à supporter l'omniprésence de Damiens . Petits règlements de compte au point de se plaindre de son « cruel époux » qui la « torpille en permanence » !
Mais Damiens n'a-t-il pas eu une vie hors norme, chaotique, pour que la romancière le compare à Patrick Dewaere, et même à Simone Weil ?! Quand elle évoque l'enfance de Damiens, qui n'eut pas de psy pour lui apprendre la résilience, elle rebondit sur la sienne, évoquant la perte de ses parents.
Elle tisse un parallèle entre la vie du supplicié, la sienne,et la nôtre à tous. Ne sommes -nous pas tous écartelés ? Elle ne nous ménage pas quand elle décrit sa détention, puis sa mise à mort. L'auteur en frémit à écrire cette scène insoutenable, le lecteur aussi.
Les 8 tableaux du peintre serbe Milos Sobaïc rendent compte de la barbarie humaine et font écho aux exactions subies par Damiens, ce martyr dont Claire Fourier brosse un portrait très complet, plein de compassion envers son héros qui est affublé de noms divers : « le grison », « l'Espagnol ». Sa résistance ne préfigure-t-elle pas celle des « sans -culottes » ?
C'est avec fougue qu'elle retrace la vie de celui dont elle s'est entichée et qui est devenu « son amant essentiel », elle sait se mettre à sa place, le comprendre. On découvre que son enfance fut marquée par les coups, la perte de sa mère. Il connaît une période plus heureuse, se marie, mais c'est en cachette qu'il voit sa femme, sa fille. On le suit dans son errance en Hollande. En tant que laquais, il a été au service de nombreux notables, jusqu'à ce qu'il entende l'injonction de Gautier :« frapper le roi serait oeuvre méritoire ». On le suit la veille de son « geste fatal », l'historienne imagine ses tergiversations, ses pensées, ; relate l'attentat, puis les réactions post attentat. D'un côté, les pleureuses qui croient leur « Roy » assassiné, de l'autre, à Paris, on renverse les lys. Elle détaille son arrestation, sa détention, les tortures subies, faisant allusion à celles des jihadistes, s'étonne qu'il ne se soit pas évadé durant la nuit et se fait son avocate jusqu'à la fin de ce récit, rétablit des vérités, ayant compulsé une pléthore de documents. Elle commente le procès, insère la lettre que Damiens a envoyée au roi. La réaction de Voltaire indigne Claire Fourier au point de lui adresser ses griefs : « l'écrivain que tu es n'a pas compris que Damiens avait frappé directement la Couronne parce que l'expression via l'écriture lui était impossible. » On apprend que Victor Hugo, ému par le cas Damiens, a milité pour que l'assemblée vote l'abolition de la peine de mort.
Elle épingle « les gens de pouvoir » qui « ont plus de couleurs que n'en a le caméléon ». La voix De La Bretonne résonne, celle que son entourage qualifie de « toquée ». N'est-elle pas atteinte de « psychostasie », tant Damiens « a infusé » en elle ? Une passion contagieuse que l'historienne risque de communiquer au lecteur !
Ceux qui connaissent l'oeuvre de Claire Fourier retrouveront son admiration pour le peintre Caspar David Friedrich, reconnaîtront ses allusions à des romans précédents.
Dans ce dernier, truffé de références littéraires, artistiques (le Tableau de Paris de Mercier) qui restitue la période du règne de Louis XV, quand le Pont Neuf était un lieu de commerce, la narratrice réhabilite, avec lyrisme, Damiens, « le scélérat et fanatique », « mort en samouraï » à 42 ans. Elle loue sa loyauté, sa vaillance, son panache, sa gentillesse avec beaucoup de tendresse.
N'est-il pas devenu « son berger »,« ce fou de hauteur » pour Montherlant ?
Comme le déclare Todorov ; « La vie a perdu contre la mort, mais la mémoire gagne dans son combat contre le néant ». Par cet ouvrage, servi par une écriture impétueuse, incantatoire, pleine d'empathie, Claire Fourier a relevé le défi en livrant cette « ode à un damné », ce « chant d'amour pour un grand vaincu de l'Histoire » à la dimension biblique et offre à Damiens, un tombeau de papier, le sauvant ainsi de l'oubli et cerise sur le gâteau, l'écrivaine gratifie le lecteur de son sourire lumineux habituel!
« Rire pour exorciser, plaisanter pour mettre à distance ce qui fait mal ! »
Le souhait de Claire Fourier sera-t-il exaucé : à savoir : « rebaptiser la place de l'hôtel de ville, place Damiens » ou donner son nom à une rue?
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Un livre où la ponctuation manque de plus en plus, nous laissant haletants et un peu plus mal à l’aise (si c’était encore possible) avec la nature humaine.
Lire la critique sur le site : Actualitte
La journée sera rude,
en d'autres temps tu aurais été un héros, mon cher amour, on est un héros quand on venge le peuple maltraité, tu étais une sorte de Jeanne d'Arc, tu avais des voix, toi aussi, j'entends la tienne, et tu étais pieux, toi aussi, je me rends malade à écrire sur toi sans pouvoir te toucher physiquement, tu deviens mon "amant essentiel", certains se moqueraient de moi, et après!
Je suis désormais indissolublement liée à toi et j'en pleure, je pleure en tapant les mots sur le clavier, et les mots glissent comme des larmes, le lecteur les lira vite, qu'importe, je te rendrai la vie, la vraie, mon Damiens, qu'est-ce que la vraie vie? diront certains, simplement la tension vers la vie, imbéciles! dites-moi donc, bougres d'idiots, à qui peut s'intéresser un poète, je veux dire un auteur qui n'est pas un porc? à l'homme vaincu, trouvez-moi un poète qui se soit attaché aux vainqueurs! on me répondre: vainqueur un jour, vaincu le jour suivant, tout reste dans la balance, il est vrai, cela dit,n'étant capable que de chanter l'amour, et partie pour écrire un livre sur mon amour du genre humain, je composerai plus qu'une biographie, une ode à un damné, un chant d'amour pour un grand vaincu de l'Histoire, je dresserai, puisqu'il n'en a pas eu, un tombeau pour Damiens.
Marie (mère de Damiens) est morte du scorbut, ses journées étaient trop rudes, et trop rudes les journées du fils après la mort de sa mère, il a quatorze ans, on est en 1729, on meurt quand on n'est pas aimé, et aussi quand on n'aime pas ou cesse d'aimer, c'est pour ça qu'il faut aimer même les gens qui ne méritent pas notre amour
"Ecouter quelqu'un, c'est se mettre à sa place", écrit Simone Weil; je me suis mise à ta place, Damiens.Je vois en toi un frère de Simone Weil. Ce sont deux êtres d'une pureté sauvage, qu'obsède le malheur du peuple, deux êtres assoiffés de vérité et de justice, qui de ce fait, sont tragiquement seuls.
sait-on pourquoi les étoiles sont immobiles dans le ciel?
à mon avis, elles sont pétrifiées par le mal dont les humains sont capables,
Claire Fourier - L'amour aussi s'arme d'acier, route coloniale 4 en Indochine .Claire Fourier - L'amour aussi s'arme d'acier, route coloniale 4 en Indochine aux éditions Dialogues. http://www.mollat.com/livres/fourier-claire-amour-aussi-arme-acier-route-coloniale-indochine-9782918135845.html Notes de Musique : "February (Mumblemix)" by Calendar Girl.