"Un peu plus tard, dans le jardin de pierres du temple Kongobuji, le plus grand du japon, figurant les ondulations de deux dragons (les rocs) émergeant des nuages (les graviers), assis face à un parterre délicatement moussu, environné d'un silence absolu, hormis le bruit ténu d'un cours d'eau qui fait partie de ce silence, je repenserai à cet extraordinaire cimetière peuplé de serpents, de moustiques et d'un grand nombre de fantômes, dans lequel se décline une bonne partie de la formidable variété de verts que l'on trouve au Japon. Malgré la chaleur lourde, les moustiques qui vous tarabustent sans cesse et les serpents qui parfois filent sous vos pieds, se hâtant de rejoindre leur nid entre deux tombes, le sentiment de paix et de tranquillité que l'on éprouve en ce lieu doit beaucoup à la mousse, et à ces diverses nuances ombrées du vert. Le vert sombre, le silence, l'humidité : il y a là-dedans quelque chose d'immémorial, de profond, et de rassurant. Comme dans l'intimité d'un abri de terre ou de mots que l'on s'est creusé soi-même. Comme un 'yamabushi' dans son terrier."
"Il y a une semaine environ, alors que nous nous trouvions plus ou moins à la verticale de la fente bleue du lac Baïkal, ce Baïkal dont nous arpentions les rives deux ans auparavant et où depuis je rêve de retourner, Gilles m'a fait remarquer que la carte du Japon représentait de manière assez convaincante la silhouette d'un dragon qui regarde vers l'est. J'aurais plutôt penché pour un hippocampe bien cambré, mais va pour le dragon, dont Hokkaido serait la tête et le cap Nosappumisaki, où nous nous trouvons depuis une heure, les naseaux d'où ont été expulsées les fumées des îles Habomai et Hopporyodo, que l'on peut apercevoir là-bas, entre deux passages pluvieux."
Payot - Marque Page - Christian Garcin - Le Gardien