Abdülhamid II fut le dernier "Grand Turc" à effrayer l'Europe, le dernier d'une longue lignée de sultans à poigne, illustrée par Bayezid, le vainqueur des Serbes, Mehmet II, le conquérant de Constantinople, Soliman, l'ennemi de Charles Quint, et tant d'autres. La biographie que
François Georgeon, spécialiste de l'empire ottoman, lui consacre, est pleine d'intérêt, car il a régné à l'époque où le nationalisme des peuples balkaniques, des Arabes, des Arméniens, des Turcs et des Juifs, met en danger la structure pluri-ethnique de l'empire et son propre pouvoir. Qu'on ne fasse pas de lui, anachroniquement, un champion du "vivre-ensemble" contemporain : ses méthodes sont celles d'un sultan, il recourt au massacre et au pogrom comme ses collègues les tsars russes, et rend possible le génocide arménien, qui commença sous son règne et culmina six ans après son renversement par les Jeunes-Turcs (1909), qui en furent les auteurs. Il est aussi le premier à recourir à l'islam comme instrument de guerre politique, puisqu'il se proclame calife et cherche à soulever les musulmans contre les Européens et contre les chrétiens en général. En somme, un sultan visionnaire, dont la vie et les actes expliquent nombre de choses bien contemporaines. Cependant, grâce aux études que fait le biographe, on se prend à admirer les tactiques et stratégies d'un souverain cherchant à tout prix à sauver son empire, malgré les fatalités et les vents mauvais de l'histoire.