Sylvain Gillet a l'art de brosser le portrait de ses personnages. Et tant pis si son héros principal a l'habitude de parler avec Linda, sa guitare (et tant pis aussi si celle-ci lui répond). Après tout, tant qu'il n'en est pas à converser avec une rondelle de banane... Eh bien si, justement, Abel Diaz parle aussi aux rondelles de bananes. Mais uniquement si elles baignent dans un cocktail préparé par un barman au sourire éclatant (« un showroom pour dentifrice » p.155) et à la mèche ondulante comme les flots de l'océan sur lequel navigue le Pride of the seas, théâtre de l'enquête en quasi huis clos de
Venenum, troisième opus écrit par
Sylvain Gillet, publié par les éditions Ramsay. Faut-il préciser que les rondelles de bananes lui répondent avec un fort accent québécois ?
Abel Diaz, musicien et plus précisément guitariste, est né en Andalousie. Mais il préfère le blues au flamenco. le type est sympa, pas prétentieux pour deux ronds. On le croise régulièrement dans les rayons du Carrefour de Châlette-sur-Loing où il fait ses courses ; un mec vraiment sans façons. Mais comme souvent chez les Méditerranéens, il a le regard qui frise dès qu'il croise une gonzesse. Ce qui fait dire que l'Abel de Cadix a les yeux de velours, l'Abel et son caddie a les yeux de l'amour (Chi-ca, chi-ca, chic ! Ay, ay, ay !). Mais l'Abel se trimbale une blessure, une grosse blessure, de celles qui ne se referment jamais, de celles qui font que vous n'êtes plus la même personne une fois qu'elle vous a frappée. Chez le bluesman, elle a imprimé son empreinte au coeur de chacune de ses cellules et vit désormais tapie au fond de lui. Curieusement, elle a fait naître en lui un désir de
vengeance (ce n'est pas la règle). C'est la Bête de l'Abel, prête, à tout instant, à se réveiller et apte à détecter, comme au radar, tous ses hôtes porteurs de la même blessure dans un périmètre donné.
A quoi mesure-t-on qu'un livre est bon ? Parmi les signes annonciateurs, il y a le fait, incontestable, rare mais récurent, qu'il vous fait vous lever la nuit pour le lire. C'est un premier indice. le deuxième réside dans le sentiment de tristesse, d'abandon, quand on le referme une fois arrivé au terme de sa lecture. On se sent orphelin de cet univers créé de toutes pièces. Derrière, il faut observer des paliers de décompression. Car il est inutile de songer à reprendre immédiatement une autre lecture (le bouquin suivant valserait inévitablement au travers de la pièce) ; pas même une émission à la télé : la tête est ailleurs. Il faut attendre que cet univers vous quitte, doucement, à la dérobée.
Il y a du rythme et de la profondeur dans l'écriture de
Sylvain Gillet. du rythme car l'auteur est par ailleurs musicien, ça se sent dans son écriture au tempo juste et enlevé ; de la profondeur notamment quand il brosse le portrait de ses personnages les plus fragiles ou dans les instants qui pourraient passer pour les plus « fleurs bleues », comme la note qu'il affectionne tant. C'est là que l'écrivain excelle, on ne s'y attendait pas. Il y a du
San Antonio là-dedans, on ne l'attendait plus. On espère désormais l'adaptation des aventures d'Abel Diaz, anti-héros, musicien et détective, sur grand ou petit écran.
Marques-pages utilisés : une chaussette orpheline, un câble de chargeur de téléphone, la queue de mon chat (Monsieur, je ne vous connais pas !)
Meilleurs chats-pitres :
- octodecies, parce qu'il précède novodecies et qu'il suit septdecies et surtout parce que l'écrivain était particulièrement en forme pour brosser le portrait du barman.
- le N°19, « le chat-Nel », moins classique que le N°5, mais encore plus audacieux dans sa version poudrée
- le chat pitre vint d'eux, parce que le scribouillard et gratteux était vraiment très en jambes (et surtout en doigts) quand il l'a pondu
Ce que vous ne trouverez pas dans
Venenum :
- Des conseils diététiques pour être frais comme un gardon dès le réveil
- Une place gratuite pour le prochain concert de Pascal Obispopo
- le meilleur temps d'infusion pour un thé blanc parfaitement réussi