C'est drôle, ai-je pensé, toutes mes lectures du moment me ramènent six ans en arrière, à Lyon. Il y avait une immense bouquinerie où je passais beaucoup de temps. Il n'y avait pas de caméra et le patron laissait les clochards et les gosses voler les poches à 0,50cts. La thune, c'était au troisième étage qu'elle se ramassait. Des originaux d'
Hergé, des vieilles revues, des classiques dédicacés. C'est en tout cas ce que m'avait dit le patron, moi je ne suis jamais monté. Je me sentais bien plus à ma place, au milieu de ces livres à 0,50cts. Je ne partais jamais sans un
Simenon ou un Thompson que j'allais lire sur un banc, quai Tilsitt ou Fulchiron, en fumant des clopes mal roulées. Un jour, un employé m'a dit que je devrais essayer Goodis. Puis il s'est dirigé vers le rayon et a sorti
La blonde au coin de la rue.
Je n'ai pas compris comment j'avais pu lire tant de livres avant celui-ci. L'année précédente, j'avais découvert, avec le même ébahissement,
Simenon et Thompson. Naturellement venait de se constituer le trio qui m'aiderait plus tard à ne pas me flinguer.
L'histoire de la blonde(…) est faite de rien, comme toujours chez Goodis, et plus généralement, dans le grand roman noir, et encore plus généralement dans la littérature. Bref, il y a cet homme trop petit pour la grande ville, végétant contre un mur, sans emploi, sans femme. Un homme qui attend qu'une putain de chose se passe. Et il y a cette demi-laide qui fait son apparition. Alors l'homme, Ralph, il se pose toute sorte de questions. C'est vrai qu'elle est plus proche de
Jackie Sardou que de
Lauren Bacall, mais lui, n'est-il pas plus proche de Sim que de Humphrey Bogart ? Puis il n'a pas un rond. Et il n'y a rien de plus con que de tomber amoureux quand on est à sec. de toute façon, il n'est pas question d'amour, mais de bagatelle pure et simple. le bordel. Il se demande à quoi ça rime, tout ça. Mais vlà, quand on est seul toutes les ziguesses ont le même sourire. Il se passe enfin quelque chose...
Je suis tombé amoureux quelques jours après avoir lu ce bouquin. J'avais moins de cent euros en poche. Goodis m'avait prévenu, mais j'ai plongé, comme Ralph. Et la mienne était brune...