Le mètre du monde

Vous êtes-vous déjà demandé comment la longueur du mètre avait été choisie ? Depuis quand ? Pour quelles raisons ? le choix du nom "mètre"? Et le kilogramme, où, quand, comment, pourquoi ?
Pour ma part, bien que je doive reconnaître que je ne m'étais absolument jamais posé cette question, j'ai été cependant ravie de découvrir les réponses à ces questions !!! Denis Guedj le fait avec une une précision historique de métronome, un peu rébarbative quelquefois, du fait des trrrrès nombreuses citations de documents d'époques, un peu dure à suivre à d'autres moments, où il nous explique par le menu les calculs mathématiques effectués pour l'évaluation définitive du mètre (il faut être tout de même très calé en maths pour y comprendre quelque chose, à cette fameuse triangulation ;) )... Bref, il faut s'accrocher, mais le lecteur est payé de ses efforts par les nombreux éléments historiques parallèles au sujet qui sont vraiment passionnants : la Révolution française et ses suites politiques, intellectuelles, scientifiques, ... J'y ai découvert de Grands hommes de manière beaucoup plus personnelle que dans les livres d'histoire, dans lesquels ils sont tout juste mentionnés... Et l'envie me vient de lire une biographie de Condorcet, Lavoisier, et de redécouvrir plus en détails la période post-révolutionnaire...

Le mètre du monde / Denis Guedj/ (Publié en 2000)
Peu avant la Révolution, début 1789 plus exactement, parmi les doléances des Français examinées lors des États généraux, l'uniformisation des règles de mesure fait l'unanimité. Afin de créer une unité de mesure universelle, deux académiciens définissent ce qui va s'appeler le mètre, l'occasion d'une incroyable traversée dans la France révolutionnaire. Une aventure scientifique et politique romanesque.
En l'année 1788, si on fait le point, c'est près de 2000 mesures qui ont cours sur l'ensemble du territoire français !! Et ce qui est le plus gênant, c'est qu'un même nom souvent recouvre des quantités différentes. Talleyrand le spirituel, disait : « la différence des choses sous l'uniformité des noms ! ». L'exemple de la lieue parle à lui tout seul : 4,4 km en Picardie, 5,8km en Provence, 4,1 à Paris !
Jadis le pouvoir métrologique des seigneurs, un des attributs de la féodalité, devenait insupportable, car les impôts étant la plupart du temps payés en nature par les paysans, les seigneurs effectuaient les modifications des mesures à leur convenance, et ce dans le plus grand secret. Aussi le cahier des doléances est clair dans ses exigences : ôter le pouvoir métrologique des mains des seigneurs et des puissances ecclésiastiques, uniformiser les poids et mesures sur l'ensemble du territoire.
Pour la petite histoire, rappelons-nous que Charlemagne, il y a juste 1000 ans, fut l'unique souverain, digne héritier de l'Empire romain, à avoir réussi l'uniformisation des poids et mesures. C'était en 789 ! Mais plus tard, l'effondrement de l'Empire carolingien signa le triomphe de la féodalité.
C'est la mesure des méridiens qui va s'imposer par le décret du 26 mars 1791, comme l'outil privilégié de la géodésie : la mesure d'un méridien permet de connaître la taille de la Terre.
Il faut savoir que c'est Ératosthène (276-194 av. J.C.), mathématicien, cartographe, directeur de la bibliothèque d'Alexandrie), qui le premier sut, en suivant les principes mathématiques établis par Euclide (environ 300 av. J.C.) et Archimède (287-212 av. J.C.), mesurer le tour de la Terre en pointant son regard sur l'ombre générée par le soleil et en observant les étoiles. Pour la petite histoire, notons que Ératosthène trouva 39 375 km pour le grand cercle méridien terrestre et que les données actuelles donnent 40 000, 03 km ! pas mal, non ?
La mesure de la Terre a pour but à présent non plus de la mieux connaître, mais de définir l'étalon universel de toutes les mesures.
C'est par la méthode de la triangulation inventée par le Hollandais Snellius au début du XVIIe siècle que se fera la mesure du méridien qui va de Dunkerque à Barcelone en passant par Paris et ayant Rodez comme milieu. le principe veut que si l'on connaît deux angles et un côté d'un triangle, on connaît tous les côtés.
À la fin, la dix-millionième partie du quart du méridien est le MÈTRE, terme choisi par Auguste Savinien Leblond. Et la cent-millième partie d'un degré décimal de méridien.
Bientôt une copie du mètre vogue vers les États-Unis. Mais des corsaires vont attaquer le navire au large des Antilles et le mètre n'atteindra pas l'Amérique cette fois-ci, qui va ainsi provisoirement échapper au système métrique.
Quoiqu'il en soit, l'unicité de l'étalon est vantée par l'ensemble du corps scientifique car elle est le symbole de l'unité du pays, contrecarrant les velléités de fédéralisme. Dans la foulée, c'est l'eau qui devient la matière pour définir les unités de poids. le triptyque unificateur devient alors : Terre/Dix/Eau. Et pour la monnaie, le franc est défini comme l'équivalent de 5 grammes d'argent.
On a donc le mètre en platine étalon de la longueur, le mètre carré en surface, le mètre cube en volume. Ce mètre cube rempli d'eau vaut une tonne soit mille kilogrammes. le millième est le gramme qui définit la monnaie.
Pour être plus précis, il faut noter que l'unité de masse est le poids du décimètre cube d'eau distillée à sa plus grande densité, c'est-à-dire 5 degrés Celsius. Il en découle la définition du kilogramme : poids d'un décimètre cube d'eau distillée à 5 degrés Celsius pesée dans un cylindre de laiton de 243, 5 millimètres de hauteur et de diamètre.
Il faut cependant bien dire que l'adoption de l'échelle décimale à la place de l'échelle duodécimale comme échelle unique des poids et mesures ne fut pas acceptée de façon unanime. le combat dura encore quelques décennies avant qu'elle ne s'impose.
Pour la température, le degré Réaumur laisse la place au degré centigrade Celsius, défini comme la centième partie de l'étendue séparant la température de la glace fondante (0 degré) de celle (100 degrés Celsius) de l'eau bouillante.
Il faut savoir que l'idée de choisir une mesure universelle pour base des poids et mesures n'est pas une création de la Révolution. Tout était là bien avant depuis le siècle précédent, mais les circonstances n'étaient pas favorables. La Révolution a tout changé.
Nommer les nouvelles mesures ne fut pas simple et agita les mondes politique et scientifique de l'époque. C'est le grec et le latin qui vinrent au secours des décideurs : les sous-divisions auront des préfixes latins (milli, centi, déci) et les autres grecs (déca, hecto, kilo, myria).
En définitive, la Révolution a voulu tout recalculer, remesurer et initialiser le monde. Elle va dans le même temps redéfinir l'espace et le temps en créant lez départements pour remplacer les provinces, le calendrier républicain à la place du grégorien, les poids et mesures républicains succédant à ceux des seigneurs. L'unification de la langue suivra pour supprimer les patois.
Mais la réforme du calendrier ne survivra pas à la Révolution et sera abolie en 1805. Et la disparition du patois ne sera pas pour tout de suite. Et même le système décimal concernant les poids et mesures connaître des soubresauts aux cours des ans à venir et notamment au temps de Louis XVIII. Ce n'est qu'en 1840 que le système métrique est définitivement adopté en France par décret de Louis-Philippe, après la Belgique et les Pays-Bas en 1836.
C'est au Pavillon de Breteuil que depuis 1889 sont conservés les étalons prototypes internationaux : le mètre est en platine iridié, et le kilogramme est un cylindre de diamètre égal à la hauteur, soit 39 millimètres pour chaque, également en platine iridié.
(À noter que depuis 2019, un nouvel étalon du kilogramme lié à une constante universelle, est en vigueur : le kilogramme peut désormais être réalisé à partir de la valeur fixée de la constante de Planck et à l'aide d'une balance de Kibble.Plus de détail sur : https://fr.wikipedia.org/wiki/Kilogramme#:~:text=Le%2022%20juin%201799%20%2C%20un,comme%20égal%20à%20sa%20masse.)
Il existe d'autres étalons du mètre : le mètre optique lié à la longueur d'onde de la radiation du krypton. (1960) En 1983, un étalon lié à la vitesse de la lumière pendant une durée donnée.
Cet ouvrage passionnant et extrêmement détaillé et documenté de près de 400 pages retrace parfaitement l'aventure scientifique de deux académiciens au départ, dans un contexte historique bien mis en relief, celui de la période révolutionnaire et de la Terreur. N'oublions pas que nombre de scientifiques qui ne pensaient pas dans le cadre « idoine », dont le grand Lavoisier, ont fini à la guillotine.
Une lecture très instructive.

Narration historique très riche et documentée de la naissance et la mesure du mètre sous la révolution