Plus de deux siècles avant notre ère, Eratosthène, mathématicien et philosophe, directeur de la mythique bibliothèque d'Alexandrie, met au point une méthode pour mesurer la circonférence de la terre, et obtient un résultat qui ne diffère que de 700 km si l'on compare à nos donnes actuelles!
C'est l'argument de ce roman de Denis Guedj qui, en resituant cette aventure dans son contexte, retrace l'histoire de l'Égypte des Ptolémée, que l'on explore sous de nombreux aspects : politique, social, écologique, religieux.
Intrigues de cour, complot, amour, amitié, mythologie, philosophie, tout y est.
C'est érudit, très instructif, et rédigé de façon vivante, mais il manque ce petit supplément d'âme qui harponne le lecteur pour le tenir prisonnier et soumis jusqu'à la dernière ligne.
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L'intrigue de cette oeuvre est surtout comment Eratosthène, grand directeur de la Bibliothèque d'Alexandrie, intime de la famille royale sensible à la culture classique et amatrice de savoirs, va parvenir à mesurer la taille de la Terre - question scientifique mais aussi logistique donc politique.
Les explications de spécialistes sont plutôt claires et accessibles même pour un esprit peu scientifique comme le mien. La dimension politique fait plutôt office de décor, de toile de fond. Les apports sur la culture et la civilisation égyptiennes sont nombreux mais amenés, je trouve, de manière souvent assez artificielle ou à brûle-pourpoint, ce qui gâte un peu le plaisir de lecture. Je trouve que les personnages et les actions sont présentés à assez grands traits sans réel approfondissement. J'ai été gênée par la juxtaposition de paragraphes séparés par un blanc, mettant fin parfois brutalement à une scène, lui faisant succéder une autre sans transition aucune, potentiellement très courte et dont l'intérêt est parfois relatif. Pour moi, la narration manque de souplesse et hache assez désagréablement la lecture.
Cependant, certaines scènes ou réflexions sont tout à fait appréciables, plutôt bien amenées et bien écrites, telle que la visite du phare d'Alexandrie, l'auteur donne également vie à la Bibliothèque d'Alexandrie, rappelant son projet, détaillant les différents "métiers du livre" : pour qui aime l'Antiquité et le savoir, c'est assez jouissif. J'ai également apprécié les réflexions - très contemporaines, certes - sur le rapport Grecs / Egyptiens, colons / colonisés, même si elles ne sont pas assez développées à mon goût.
Pour résumer : intéressant sur le plan documentaire mais frustrant sur le plan littéraire.
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Un de mes oncles répétait toujours à propos des livres que seuls ceux qui donnent l'envie d'être relu méritent d'être dans une bibliothèque. Je ne suis pas certain d'avoir envie de relire tous les livres que j'ai déjà lu et qui emplissent les différents rayons de ma bibliothèque mais celui-ci en fait partie. Pourquoi, et bien déjà parce que j'aime particulièrement les romans basés sur des faits historiques car ils nous permettent de nous approprier des pans de l'histoire en le vivant et en le ressentant. Ici, Ératosthène, mathématicien et philosophe, directeur de la mythique bibliothèque d'Alexandrie, cherche et identifie le moyen de mesurer la circonférence de la terre et celui-ci y parvient avec une marge d'erreur qui n'a pas a démériter de nos mesures actuelles. Aussi bien documenté que suffisamment léger pour rendre l'histoire digne d'une aventure aux temps reculés d'un moyen orient en plein ébullition intellectuelle. En ces temps là, les questionnements fondamentaux s'emparaient des décideurs et les réponses découvertes donnaient une envergure aux royaumes où ces dernières survenaient.
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Les savants de l'Antiquité étaient vraiment forts: non seulement ils comprenaient que la Terre était sphérique - une vérité qui a été oubliée par la suite - mais ils ont même imaginé une méthode simple et astucieuse pour mesurer la circonférence terrestre. Pour cela, il suffisait de connaitre avec précision la distance entre deux points d'un même méridien et de mesurer au même instant les ombres portées par des bâtons égaux placés en ces deux points. C'est peut-être facile à imaginer, c'est bien plus compliqué à réaliser. Cette mesure a été faite en Egypte, sur les instructions d'Eratosthène, au IIIème siècle avant J.-C. Le résultat qui avait été ainsi obtenu était proche de la valeur exacte, établie à l'époque moderne.
Sur ce canevas, Denis Guedj a écrit un livre destiné aussi bien aux adultes qu'aux enfants. A côté de l'aspect scientifique, l'auteur s'attache à faire vivre l'Egypte des Ptolémées, sous tous ses aspects; le roi d'Egypte s'appelait alors Évergète. Denis Guedj sait aussi très bien raconter des aventures, dont les rebondissements plairont aux plus jeunes. Ce livre n'est pas un chef d'oeuvre littéraire, mais il est instructif et agréable à lire.
Pour information, la chevelure de Bérénice est une constellation peu lumineuse située juste à l'Ouest du Lion. Une jolie légende rattache son origine à l'épouse d'Évergète.
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Évergète s'approcha de la carte. Posant son index sur la Diaphragme, il le fit glisser du couchant au levant, égrenant les noms des pays : Celtique, Libye, Italie, Grèce, Macédoine, Thrace. Quand il eut atteint la Perpendiculaire, il s'interrompit. Il venait de traverser la moitié du Monde. Impatient de pour suivre ce voyage virtuel, il continua : Éthiopie, Nubie, Arabie, Médie, Perse, Carmanie, Bactriane, Inde, Cédrosie, Taprobane. Parvenu à l'océan qui mettait un terme aux terres habitées du Levant, son doigt resta en suspens. Lentement, d'un geste large, désignant l'en dehors de la carte : « Et le reste ? Le reste du monde, est-ce beaucoup, est-ce peu en regard de ce que nous connaissons ? » demanda le roi, les yeux brillants d'excitation. S'approchant d'Ératosthène qui, en retrait, respectait le silence de son souverain, il répéta doucement, presque douloureusement, sa demande à cet homme qui lui était si cher et à qui il avait confié l'éducation de son fils aîné, Lagos : « Ce monde habité que tu offres à mon regard et dont pour la première fois je perçois si sûrement les limites, je ne peux m'empêcher de ne le considérer que comme une partie du Monde. Une partie infime ? Une partie considérable ?
- Pour te répondre précisément, il faudrait que je sache combien grande est la Terre.
- Eh bien !
- Tu me demandes, Seigneur, quelle est la grandeur de la Terre ?
- Oui, oui, c'est exactement ce que je te demande, la grandeur de la Terre ENTIERE !
- Tu me demandes, Seigneur, rien de moins que de mesurer la Terre !
- Serait-ce au-delà de tes possibilités ? » demande Évergète d'une voix que la provocation rendit enjouée.
Demande inouïe !
Mesurer le Monde. Non pas le monde habité, mais le monde dans sa totalité. Durant des millénaires, seul avait compté pour chaque homme son territoire. Cette mesure, si je parviens à la mener à bien, signera pour les hommes la sortie de la maison, du village, de la cité. Elle témoignera de la prise en compte de l'unité du monde. Par elle, chaque homme, au-delà de son attachement à sa terre, deviendra habitant de LA Terre. Cette sortie hors de « chez soi », qui se couplera avec une sortie hors de soi, sonnera comme une véritable révolution.
Pris de vertige devant la portée et les conséquences de la tâche qui allait désormais requérir tous ses efforts, Ératosthène frémit. Être le premier homme à prendre la mesure du Monde, quelle gloire ! Mais aussi quelle responsabilité ! Que ses calculs soient erronés, qu'il fasse la Terre plus grande ou plus petite qu'elle n'est, et pendant des siècles les hommes, abusés par son erreur, se feraient une fausse idée du Monde.
A quoi sert une bibliothèque, sinon à fournir à chaque nouvelle génération, à chaque nouveau lecteur, les moyens de se hisser jusqu'aux niveaux ultimes atteints par les savoirs antérieurs?
Ses traductions permettaient à - ne serait-il pas plus juste de dire "contraignaient" - la population égyptienne à se tenir informée du contenu des lois décidées par les autorités grecques. Par contre, combien peu de demandes dans l'autre sens ! Qui lui demandait de traduire des textes égyptiens en grec ? Combien, parmi les fonctionnaires, parlaient le démotique ? Combien de Grecs, après plus de cent années de présence... d'occupation, étaient aptes à communiquer dans la langue du pays ? (p305)
[ … ] Dis, tu voulais mourir ?
Je ne sais pas ce que ça veut dire pour moi. Pour les
autres, pour ceux que j'aime, pour père, pour Magas, je sais.
Cela veut dire que je ne les reverrai plus jamais. Mais pour
moi, je ne comprends pas ce que ça veut dire que je ne me
reverrai plus jamais. Oh, c'est trop compliqué.[ … ]
p. 301.
#mathématiques #chiffres #CulturePrime
Vous avez affaire à eux tous les jours, vous les manipulez depuis l'enfance, mais avouez, cette question vous turlupine : pourquoi les chiffres ont-ils la forme qu'ils ont ?
(On attend vos réponses en commentaire )
Sources principales d'information :
- Marc Moyon : "Apprendre les mathématiques au Moyen Âge : l'importance des traductions arabo-latines"
- Agathe Keller : "Comment on a écrit les nombres dans le sous-continent indien"
- Clarisse Herrenschmidt, "Les Trois Écritures, Langue, nombre, code" (Gallimard, 2007)
- Guy Beaujean : "Étude paléographique sur la « rotation » des chiffres et l'emploi des apices du Xe au XIIe siècle"
- Jérôme Peignot, "Du Chiffre" (Damase, 1982)
- Georges Ifrah, "Histoire universelle des chiffres" (Seghers, 1981)
- Denis Guedj, "L'Empire des nombres" (Découverte Gallimard, 1996), "Le Théorème du perroquet" (Seuil, 1998)
- et les ressources éclairantes de Jean-Michel Delire, Marc Smith, Océane Juvin, Matthieu Cortat, Rémi Forte, Thomas Huot-Marchand.
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