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Jean-Marie Saint-Lu (Traducteur)
EAN : 9791038702646
368 pages
Zulma (07/03/2024)
4.67/5   6 notes
Résumé :
Quelques années après la Grande Panne, un groupe d’une douzaine de personnes, pour la plupart âgées ou blessées lors de la Troisième Guerre mondiale, vit barricadé entre les murs de l’Institut Pere Mata, l’ancien hôpital psychiatrique de Reus, en Espagne. Ils sont entrés en résistance et survivent, sans électricité, sans eau, sans ravitaillement ni Internet ou téléphone. Pour des raisons géostratégiques et militaires, la péninsule ibérique est en cours d’évacuation.... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (5) Ajouter une critique
« Si j'ai décidé d'écrire ce journal c'est tout simplement parce que je sens que le monde que j'ai connu touche à sa fin, et que j'aimerais laisser un témoignage de son existence avant qu'il ne soit trop tard et qu'il ne reste plus personne pour le raconter. »

Reus 2066 est le dernier volet des autobiographies fictives de Pablo Martin Sánchez que je découvre avec cet opus qui se veut être une dystopie étonnante puisque l'auteur espagnol se déguise en un vieil homme de 89 ans qui décide de tenir un journal à l'attention des générations futures. Se déguise ou s'imagine plutôt à 89 ans, tentant d'anticiper le contexte géopolitique et technologique de ce futur à venir et, je l'imagine, d'exorciser ses angoisses. Cela donne un roman décalé, curieux, intriguant et profond.

Reus est une ville du sud de la Catalogne. Suite à la Troisième Guerre Mondiale, au virus Marburg et enfin au pacte de la Honte, la Péninsule ibérique doit être évacuée devant devenir une vaste base militaire, mais certains résistent, viscéralement attachés à leur territoire. Ils sont ainsi douze retranchés dans l'enceinte du Père Mata, un ancien hôpital psychiatrique. La Grande Panne les a coupés du monde et les a ramenés à la féodalité, sans électricité, sans eau courante, sans communication possible avec le reste du monde. Pour tenir, ils rationnent vivres et médicaments qu'ils ont pu trouver et tentent de se protéger des quelques errants prêts à tout pour les voler. le moratoire qui impose à toutes et tous de quitter la péninsule ibérique touche bientôt à sa fin. Les stocks fondent et bientôt ils manqueront de tout. Parviendront-ils à tenir jusqu'à la fin du moratoire ? Que se passera-t-il ensuite ?

Parmi ces douze personnes, il y a ce vieil écrivain, veuf. Un hypothétique Pablo Martin Sanchez vieux. Il noircit les pages vierges des livres mités dénichés au grenier et se donne pour mission de raconter au jour le jour leur survie : les tours de garde contre les pillards, la personnalité des personnes qui l'entourent, les rares expéditions dehors, les maladies et leur traitement, la défection ou la mort de ses compagnons d'infortune, l'amitié et aussi l'amour improbable mais touchant avec Audrey, une « jeune » quinquagénaire, à petits coups d'aphrodisiaques.

Mais ce journal est aussi l'occasion d'évoquer les souvenirs et de restituer l'histoire d'une génération sur presque 90 ans, celle née dans les années 1970. La mienne ai-je pensé avec émotion. Ce cabochard a à peu près l'âge que j'aurai moi aussi en 2066, enfin si je parviens jusque-là. Sans doute cette coïncidence m'a-t-elle rapproché de cet homme auquel je me suis profondément attachée.

C'est aussi des digressions poétiques, une réflexion oulipienne sur le langage, sur la littérature et ce qui lui survit. Un manifeste sur la technologie que le narrateur critique comme un vieux cabochard au moyen d'ailleurs d'étonnante et borgésienne invention sémantique, le fameux alephone dont le monde est prisonnier.

A la lecture de Reus 2066, j'ai pensé immédiatement à deux livres. Impossible de ne pas citer Malevil de Robert Merle dans lequel la ligne de fracture s'appelle « l'Évènement », une catastrophe nucléaire dont on ne connait pas grand-chose, plus personne n'étant là pour pouvoir l'expliquer. Tout n'est que suppositions et craintes. Après "Le jour de l'événement", à Pâques 1977, il reste quelques survivants, ayant eu la chance de se trouver dans des endroits relativement protégés (en l'occurrence une cave à vin pour notre héros et ses acolytes) durant l'explosion. Entre les deux, de multiples changements de valeurs, de société, de repères. Une régression. Une société à réinventer. Un retour au Moyen-Age avec une population réduite à presque rien.
Même si ici le récit se passe dans le futur avec des technologies plus évoluées et un contexte géopolitique très différent, la structure narrative est proche quant à la façon de mettre une poignée de personnes dans un endroit plus ou moins protégé, revenues à un âge féodal et de voir ce qui va se passer…
Ensuite les expéditions à l'extérieur, notamment quand l'écrivain se rend avec la petite fille aveugle dans la maison de cette dernière pour y cherche un hypothétique bidon d'essence, m'ont fait penser irrésistiblement à La route de Cormac McCarthy, cette errance d'un duo adulte/enfant dans une ambiance oppressante, sans espoir, apocalyptique où l'homme est devenu un loup pour l'homme…

Mais ce qui distingue ce livre-ci des deux précédemment cités est bien cette tenue quotidienne du journal intime qui nous permet d'assister, comme aux premières loges, à la rocambolesque survie, un jour après l'autre, de cette petite bande qui bien sûr s'amenuise peu à peu.

J'ai aimé la facette oulipienne de ce roman qui provient de l'appartenance de l'auteur à ce courant littéraire. Ainsi le narrateur de nous passer en revue l'histoire de toutes ses cicatrices. Ainsi fait-il un poème avec chacun des décimales du nombre pi, chaque mot devant avoir le même nombre de lettres que la décimale. D'autant plus intéressant quand le traducteur Jean-Marie de Saint-Lu confesse n'être point parvenu à suivre l'auteur dans cette aventure…et l'auteur de préciser que c'est précisément ça, ces angles morts, qui l'intéresse avant tout.
Si cela vous intéresse, voici le début du poème permettant de mémoriser pi, il est arrivé à 85 chiffres après la virgule :
« Que j'aime à boire lentement
ce ribeira
divin qui coule, agréable,
savoureux !
Liquide pétillant qui a le nez
asticote,
fait vibrer ma pauvre tête.
Mon ami exultons car la liberté
Irriguera notre vieillesse.
Oh ! illusion ridicule, tout
a follement disparu à jamais.
Futilités ces promesses perverses…
… »


C'est un livre lent dans lequel le côté science-fiction est secondaire. Certes nous voyons des anticipations politiques qui font frémir et des technologies nouvelles comme par exemple l'utex et la gestion exogène ou encore le sensiciné qui permet d'assister à une séance de cinéma de façon immersive convoquant tous les sens.
Mais c'est vraiment cette lenteur qui prime, lenteur qui fait naitre de belles réflexions sur la pratique du journal intime, sur l'inquiétude de la survenue de la mort dans ce contexte de survie, sur les affres de la vieillesse. Et l'auteur de s'interroger : « Et la question à laquelle je n'arrive pas à répondre est : ce journal est-il au subjonctif ou à l'indicatif? Ou, pour le dire autrement : est-ce pour raconter la vérité que je l'écris, ou pour maintenir l'espoir en vie ? ». de belles réflexions également sur le rôle de la littérature au fur et à mesure des livres éclusés du grenier. Javier Cercas, Sartre, Umberto Eco, l'auteur péruvien Ribeyro (dont j'ai les proses apatrides mentionné dans le livre) et tant d'autres sont convoqués pour nourrir ses réflexions.

C'est un livre lent dans lequel le narrateur parle à sa femme décédée, avec dignité, grâce et élégance. Nous nous attachons à ce cabochard, comme il se nomme lui-même, au grand coeur. Il y a d'ailleurs une scène dantesque vers la fin du livre qui m'a émue aux larmes. A noter que l'auteur s'imagine bien fringuant à 89 ans, j'aimerais avoir ce dynamisme à cet âge, quel optimisme ! ;-)

C'est un livre lent dans lequel la tension monte crescendo au fur et à mesure que le nombre des personnes dans cet hôpital, devenu forteresse, se réduit à peau de chagrin…La lenteur n'empêche pas à l'action de subrepticement s'accélérer jusqu'à la fatalité.


Véritable ode à l'esprit de résistance et à la liberté, d'une profonde et touchante humanité, Reus 2066 est un beau roman, inventif et intelligent, étonnant et curieux. Il me reste à découvrir les autres tomes de la trilogie, « L'anarchiste qui s'appelait comme moi » qui est une enquête sur un homonyme et « L'instant décisif » qui se situe autour du 18 mars 1977, jour de naissance de l'auteur. En attendant je remercie Stéphane (@Lenocherdeslivres) de m'avoir incitée à lire ce livre qui sort totalement des sentiers battus.

« Tout journal intime est un lent suicide ».

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Dans un avenir pas si lointain, les États-Unis et les états européens vont conclure le pacte de la Honte, ainsi nommé par ses opposants. En 2066, l'Espagne doit être évacuée afin de devenir une vaste base militaire. La plupart des habitants acceptent. Mais certains refusent et résistent. Ils tiendront jusqu'à l'ultimatum. Ou du moins, essaieront. Malgré la Grande Panne. Malgré les pillards. Douze hommes et femmes sont retranchés dans un ancien hôpital, le Pere Mata. Dont le narrateur, auteur présumé du journal que nous tenons entre nos mains. Un vieil écrivain qui se traite lui-même de vieux cabochard. Et il faut bien ça pour résister à cette situation.

Et si, pour des raisons politiques, on expulsait toute une population de sa ville, de région. Et même si les raisons paraissent bonnes, quelle réaction avoir ? On peut trouver dans le monde actuel nombre de déplacements forcés, dont les causes sont parfois difficilement soutenables. Ici, on est en Espagne, un pays qui connaît les tensions entre régions. Et où on sait la puissance de l'attachement à une terre, à une culture, à une langue. D'où le côté très réaliste de ce récit. Des centaines de personnes refusent, pour des raisons diverses, une décision unilatérale et qu'elles considèrent injustifiée, injuste. Les conflits et les pandémies ne peuvent permettre de faire une telle chose, de signer ce pacte de la Honte.

Malgré toute cette résistance, le résultat est là : passé un certain délai, toute cette zone sera évacuée afin de laisser la place aux troupes. Tout cela vient, on le découvre au compte-goutte, d'une situation mondiale qui continue à se déliter : nouvelles crises induites par de nouveaux virus, replis sur elles des nations ; crise climatique qui s'amplifie. Un cadre peu réjouissant et qui attise les inquiétudes, les méfiances, les décisions tranchées. Mais ce n'est pas la priorité de Pablo Martín Sánchez que de s'appesantir sur ces faits. Il nous les révèle entre les lignes, par petites remarques annexes. Car l'auteur s'intéresse avant tout à l'humain. Et à son écrivain, double qu'il s'est créé dans deux autres romans, L'Anarchiste qui s'appelait comme moi (2012 en V.O. – 2021 en France) et L'Instant décisif (2016 en V.O. – 2017 en France).

Dans ce triptyque, l'auteur s'inscrit dans cette tradition où l'écrivain s'invente une copie imaginaire, fortement inspirée de lui. Dans ce type de récit, le réel et l'imaginaire (mais un imaginaire réaliste) se mêlent souvent de telle façon qu'ils s'intriquent l'un dans l'autre de façon difficile à démêler. Sauf quand on connaît parfaitement la personne et le contexte. Ce qui n'est pas mon cas. Donc, je me suis laissé bercer par l'histoire. Mais j'adore cette démarche. Par exemple, chez Enrique Vila-Matas, qui pousse cet exercice à son paroxysme, créant des biographies de personnages imaginaires qu'il greffe dans le monde ordinaire. À tel point que l'on est persuadé qu'ils possèdent une existence réelle et une fiche Wikipedia. Bernard Quiriny également (L'affaire Mayerling ou Vies conjugales) mène cette démarche avec succès.

Dans Reus, 2066, Pablo Martín Sánchez se projette à l'âge de 89 ans. Dans cette ville de Reus où il est né. Et il imagine que lors de cette crise terrible, enfermé dans l'enceinte du Pere Mata, il tient un journal. Pas pour écrire, car il a arrêté depuis longtemps, mais pour offrir un témoignage de l'existence d'un monde qui selon lui « touche à sa fin ». Et donc l'auteur respecte les règles de ce genre littéraire. Et il parvient à maintenir l'attention du lecteur et le suspens avec une grande habileté. J'avais un peu peur au début de m'ennuyer à la lecture d'un compte-rendu qui tournait en rond puisque les douze personnes sont enfermées ou plutôt barricadées dans une sorte de fort. Ils se protègent des possibles envahisseurs car les denrées sont rares et ils ne peuvent sacrifier la moindre parcelle de nourriture ou de médicament. Or, non seulement je n'ai pas ressenti de lassitude en tournant les pages, mais en plus j'ai sans cesse eu envie de découvrir la suite. Outre l'histoire qui est pleine de rebondissements (sachez juste que le nombre d'habitants du Pere Mata va aller s'amenuisant), le style m'a conquis.

Il faut dire que Pablo Martín Sánchez manie les références avec brio. Elles lui permettent d'amplifier une réflexion, de rebondir et d'aller plus loin. Et tout cela sans paraître pédant, sans vouloir montrer qu'il sait, qu'il a lu. Il se contenter d'utiliser sa culture à bon escient. Et cela fait un bien fou. Reus, 2066 fait partie de ces livres dont j'aimerais recopier un grand nombre de phrases, ajouter un grand nombre de citations. Car l'auteur aborde des thèmes essentiels comme la vie, la mort. Mais aussi l'écriture et notre relation aux autres. Cela ne servirait à rien d'en faire la liste, les réflexions s'enchaînent, passionnantes, et étayées par des références nombreuses. Juste une qui sonne comme un programme : « J'ai toujours cru que j'avais cessé d'écrire pour devenir un bon père. Je me rends compte maintenant que c'était parce que j'avais cessé de croire à la fiction. » (page 151). Et sa participation à l'Oulipo (que l'on retrouve dans certaines listes, comme celle de ses cicatrices , ou dans le poème créé pour se souvenir des décimales du nombre pi) est pour moi un plus, car je trouve vivifiant ce groupe et son travail sur l'écriture.

Reus, 2066 est une excellente surprise et je remercie vivement Sébastien Goullart et les éditions Zulma & La contre Allée de m'avoir permis cette découverte. Pablo Martín Sánchez est un auteur qui traite de thèmes qui me touche avec un style qui me convient. Il est évident que dans un proche avenir, je vais lire ses deux précédents opus, afin de me faire une image plus nette de ce cabochard qu'il se pique d'être, du moins sur du papier.
Lien : https://lenocherdeslivres.wo..
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Dans ce roman Pablo Martín Sánchez poursuit un travail littéraire qu'on pourrait dire d'inspiration autobiographique, qu'il a brillamment commencé avec « L'anarchiste qui s'appelait comme moi » (enquête sur un homonyme), suivi par « L'instant décisif » (que je n'ai pas encore lu) qui, si j'ai bien compris, est une sorte de tentative à la Tristram Shandy autour du 18 mars 1977, jour de naissance de l'auteur.

Dans ce troisième effort Pablo Martín Sánchez réhabilite ici pleinement le concept d'anticipation. Au fond, le futur lui fait peur et il tente de le conjurer par ce livre. Il s'imagine à 89 ans. Il vit toujours à Reus, en Catalogne. Cette région est alors en attente d'être complètement évacuée de ses derniers habitants. Une guerre civile a eu lieu, suivie d'une vague d'épidémies meurtrières puis enfin d'une troisième guerre mondiale. Un Pacte de la Honte a été signé entre Europe et Etats-Unis, qui a pour effet de donner toute la péninsule ibérique à ces derniers pour y accueillir une immense zone militaire.

Notre Pablo, en compagnie d'une douzaine d'autres vieillards et/ou handicapés, s'est réfugié dans l'enceinte de l'institut Pere Mata, un vaste complexe hospitalier qui existe réellement et est d'ailleurs classé monument historique. Ils veulent tous résister le plus longtemps possible à cette obligation d'évacuation.

Pablo, qui n'écrivait plus depuis très longtemps, va décider de tenir un journal des évènements qui vont se dérouler dans ces semaines finales, avant la date butoir, prévue au 1er octobre. Il va y rapporter les coups durs que vont subir les retranchés, qui manquent de plus en plus de l'essentiel et ne sont pas entièrement à l'abri de la violence d'autres réfractaires errants.

Le sous-titre « Journal d'un vieux cabochard » est bien plus explicite que son titre principal, qui a toutefois le mérite d'insister sur le décalage temporel. Têtu, il l'est indiscutablement ! Il a encore un solide appétit de vivre malgré son état de santé parfois défaillant et les faits tragiques qui vont se produire.

Alors qu'on pourrait s'attendre à un livre très sombre, les passages plus légers et même drôles ne manquent pas. Franchement ce journal d'un vieux cabochard est une grande réussite ! C'est un texte intelligent, qui aborde aussi des enjeux littéraires pointus, rien d'étonnant de la part d'un membre de l'Oulipo.

Je remercie Babelio et les éditions Zulma & La Contre Allée de me l'avoir adressé dans le cadre d'une opération Masse Critique.
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Un classique contemporain. Une référence éditoriale, stylistiquement grandiose.
« Reus, 2066 » est le livre de demain.
Ce n'est pas pour tout de suite, pas encore. Il est l'avant-garde de notre monde. Ce qui pourrait advenir immanquablement.
Le pacte de la Honte, la fin de la liberté. La Péninsule ibérique doit être vierge de ses hôtes. Un espace abandonné, sans hommes ni femmes et enfants.
La grande panne acte l'obsolescence.
Tout se fige. L'ordre est donné. Reus est une jachère mentale.
La politique et ses diktats de soumissions. le glacé d'un lieu où la survie est du sable qui s'écoule. La vie s'est arrêtée, ici. La frontière devenue et la rive croule sous les surveillances, les oppressions, l'obligation de partir et vite.
Ils sont douze à résister. Ils vont vivre en autarcie. Compter les vivres et les médicaments. Survivre dans un no man's land fantomatique. Affronter les dangers et établir les règles et se substituer à la patience.
Avec force et durée, l'éphéméride contre les paucités. Avec une vulnérabilité mise à dure épreuve, ils bâtissent les résistances, pierre après pierre. Ils sont tenaces, persévérants. Les relations changent et se construisent à deux ou en pleine solitude. L'obstination des Cyniques tel Diogène ou celle des nihilistes.
Mais la narration est un journal. Celui du vénérable, du plus ancien. Un écrivain qui rassemble l'épars.
« Si j'ai décidé d'écrire ce journal c'est tout simplement parce que je sens que le monde que j'ai connu touche à sa fin, et que j'aimerais laisser un témoignage de son existence avant qu'il ne soit trop tard et qu'il ne reste plus personne pour le raconter. »
Il inscrit sur la pierre du temps, l'étrange changement. le cercle où ils déambulent, se méfient, guettent l'étrange (er) par-delà les lignes abattues.
Ils se savent fragiles, en déliquescence. Comme le jour sans promesse d'un lendemain. Ils comptent les jours et les leurs. Et je journal devient l'estampe. Les littératures à l'instar de conjugaisons, les recueils et les incunables et les verbes qui jouent à la corde à sauter avec l'intelligence du maître des lieux.
« Comme disait Roland Barthes, écrire n'est pas une grâce, est écrivain qui veut l'être… Maintenant j'ai recommencé, cela fait un mois et demi, est-ce que ça veut dire que je suis un écrivain ? Non, je me contente de mettre des mots ensemble pour laisser un témoignage de ce que nous vivons. »
Sauf que l'urgence assigne la fragilité. Celle des battements de coeur. Au-delà de l'épaule du vieil écrivain, son double construit le roman. Nous sommes dans la majesté d'un texte et du pouvoir d'écriture de Pablo Martin Sãnchez qui se fond dans cet être de 89 ans. le mimétisme, la doublure des générations dont tous les deux impriment le macrocosme de la vie-même.
Ce sont des entrelacs où rien n'échappe au visionnaire, au futurologue, au lanceur d'alerte qui prononce le péril de l'humanité. Il y a « Malevil » de Robert Merle, « Les enfants de Noë » de Jean Joubert, les semblables dissidences, les épreuves. La renaissance qui se confronte à la mort. Ce texte surdoué, atypique est un éclat de lumière. Ce livre fascinant est le requiem de la liberté au sens absolu. Un adage : « Nous sommes nos choix ». Ce livre est l'expérience emblématique de la survie. Ici, les vertueuses amitiés, les tendresses et les symboles qui sortent de terre lorsque l'alerte est donnée. Dans la pleine connaissance du langage vivant. La démonstration minutieuse des forces intérieures, et des rémanences universelles. Que dire de cette fillette aveugle qui arrive tel le messie. Ce bébé, parabole de la suite. C'est « Reus, 2066 » qui donne la réponse comme un antidote au désespoir. Après « L'Anarchiste qui s'appelait comme moi » « L'instant décisif », « Reus, 2066 » déploie avec virtuosité le renom. « Demain sera un autre jour. »
Traduit avec talent de l'espagnol par Jean-Marie Saint-Lu. Publié par les majeures Éditions Zulma & La Contre Allée.
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Fin de l'exploration des autobiographies fictives de Pablo Martin Sánchez qui cette fois utilise la dystopie pour raconter non tant sa fin de vie que le contexte politique dans lequel, très fragile hypothèse, elle pourrait se produire que le reflet offert par cette vision apocalyptique offre de notre époque. Dans cette épopée gériatrique, l'auteur qui se déguise en un personnage principal de 89 ans, Pablo Martin Sánchez se livre à une très maligne, oulipienne, réflexion sur le langage et la mémoire, la tenue d'un journal et le rapport ainsi induit au roman et donc à la politique et à la technique, la mémoire d'un lieu quand on s'y sent confiné. Reus, 2066 ou une spéculation, très littéraire, de ce qui survit à la littérature.
Lien : https://viduite.wordpress.co..
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Citations et extraits (8) Voir plus Ajouter une citation
Les créations littéraires qui ont fini par franchir les frontières de la fiction pour donner un nom à des inventions de la vie moderne ne sont pas nombreuses, mais il y en a eu quelques-unes : Borges lui-même parle, dans une de ses nouvelles, je ne me souviens plus de laquelle, d’une tribu sauvage appelée Yahoo, mot étrange forgé par Jonathan Swift dans Les Voyages de Gulliver et qui a servi, presque trois siècles plus tard, à baptiser une des entreprises les plus prospères de l’aube d’Internet, même si elle a plus tard été absorbée par ce monstre glouton nommé Amazon.
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J’aime l’odeur des vieux livres. Bien que « j’aime » soit un peu en dessous de la vérité : les sentir est une vraie manie, une obsession, un vice. En fait, peu importe que le livre soit vieux ou neuf, avant de le commencer je ne peux résister à la tentation de fourrer mon nez dans ses pages, le plus profondément possible, là où elles s’insèrent dans le creux de la reliure. J’établis de la sorte une relation intime avec lui, j’oserais presque dire charnelle, tactile et olfactive à la fois : tandis que les ailes et la pointe de mon nez effleurent le papier et en déchiffrent la texture, mon nerf olfactif perçoit les effluves de l’encre, de la colle, de la fibre, du moisi, et envoie à mon cerveau des messages qui ridiculisent Proust et sa madeleine. Vraiment, je ne m’explique pas comment j’ai pu rester si longtemps sans renifler un livre. À une époque, dans les années dix, on a pu penser que l’e-book marquerait la fin du format papier mais ce ne fut qu’un mirage : celui-ci se refit une santé et connut un nouvel essor dans les années vingt et les heureuses années trente, avant d’amorcer une chute lente mais inexorable. Quelqu’un a dit un jour que le livre électronique gagnerait la partie quand il serait exactement semblable au livre papier : mêmes formes, mêmes textures, mêmes odeurs, mêmes défauts. C’est pour cette raison qu’on ne tarda pas à voir apparaître les coques en cuir, les écrans flexibles laminés ou les arômes synthétiques qui prétendaient reproduire les odeurs naturelles et qui incluaient, car il ne pouvait en être autrement, l’« odeur de vieux livre ». Je me souviens que la première liseuse que nous avons achetée à Leire incorporait un diffuseur qui envoyait différents arômes (herbe fraîchement coupée, terre mouillée, sous-bois, feu de cheminée, draps propres !) pour favoriser une lecture immersive.
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L’odeur de terre mouillée n’a pas tardé à filtrer par les fenêtres, une odeur que j’aime presque autant que celle des vieux livres. Un jour quelqu’un, je crois que c’était Gabi, le jardinier, m’a raconté que cette odeur qu’émet la terre lorsqu’elle reçoit les premières gouttes de pluie est due à une bactérie inoffensive, appelée bactérie d’Albert, qui en entrant en contact avec l’eau produit une fragrance qui nous rend nostalgiques, nous les humains, et sauve la vie de certains animaux, comme les chameaux, qui grâce à elle sont capables de flairer l’eau dans le désert, même à des kilomètres de distance. Pétrichor, a dit Audrey, en s’étirant. Quoi ? Ça s’appelle pétrichor. Quoi donc ? L’odeur de la terre mouillée.
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Sauter par-dessus un feu de la Saint-Jean est un acte téméraire. Le faire à mon âge, c’est de la bêtise. Hier soir, je me suis foulé la cheville et aujourd’hui je commence ce journal, comme au bon vieux temps, à la lumière d’une bougie, et le poignet tremblant faute d’entraînement. C’est improprement que je l’appelle journal, même si j’ai la ferme intention d’écrire tous les jours tant que je serai prostré dans ce lit de l’ancien pavillon des épileptiques, parce qu’à vrai dire j’utilise les feuilles blanches du livre que le docteur Audrey Lourenço m’a apporté cet après-midi pour me distraire : Le Journal d’un fou de Gogol. Je suppose qu’elle l’a pris au hasard (au-delà de l’ironie de trouver un tel livre parmi les volumes mités de ce qui a été un jour la bibliothèque d’un asile psychiatrique), mais le hasard est capricieux et si elle m’avait apporté les Confessions de Rousseau au lieu du Journal d’un fou, peut-être serais-je maintenant en train d’écrire des mémoires et non un journal.
(Incipit)
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Qui sait offrir un livre, sait s'offrir soi-même.
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Videos de Pablo Martín Sánchez (3) Voir plusAjouter une vidéo
Vidéo de Pablo Martín Sánchez
Littérature : Pablo Martín Sánchez nous raconte le parcours d'un jeune anarchiste espagnol du début du XXe siècle dans "L'anarchiste qui s'appelait comme moi" (Zulma & La Contre Allée).
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