Les biographies sur
Toussaint Louverture se divisent deux catégories : un premier courant est très critique de ce personnage, vu in fine comme un dictateur, tandis que le second s'efforce d'héroïser ce combattant de la libération des esclaves. Cet ouvrage s'inscrit pleinement et de façon assumée dans le second courant.
Toussaint Louverture, dont on ne saura jamais l'origine de son prénom (certains y voient une référence à sa pertes de dents du devant lors d'une bataille, l'auteur opte plutôt pour un hommage à ses qualités de négociation), est présenté comme un être supérieur en intelligence, moralité et capacités physiques.
Grâce à son intelligence, il réussit à passer d'esclave cocher et gardien de chevaux à possesseur d'une modeste plantation, puis chef de rébellion, authentique général et même dirigeant à vie d'une Saint Domingue fusionnée avec la Santo Domingo espagnole. Par fusionnée il faut comprendre élargie, élargie par une conquête militaire dirigée par Toussaint en personne. Sans reprendre une à une toutes les étapes de cette ascension, notons qu'il la doit à une véritable ingéniosité pour former des alliances. Outre la quantité exceptionnelle de temps qu'il passe à écrire des lettres, il sait s'adresser à toutes les puissances de la région. Toussaint a donc été capable de s'allier avec l'Espagne contre les colons français, avec ces derniers contre les Britanniques, le tout en recevant des armes américaines et en négociant en sous main avec ses ennemis.
L'imbroglio de ses multiples retournements d'alliances est justifié par l'auteur au nom d'un objectif qui n'aurait jamais varié : faire de Saint Domingue une île qui inclut toutes ses populations, c'est-à-dire dire anciens esclaves, noirs, mulâtres et blancs. Son obsession semble donc de faire la paix en luttant contre les extrémistes des deux camps, colons nostalgiques d'un côtés (détestés parce qu'ils souhaitent rétablir l'esclavage), anciens esclaves revanchards de l'autre (également détestés parce qu'en souhaitant exclure les blancs, ils se priveraient de leurs facultés pour faire prospérer l'île). À ce dessein moral qui nous paraît très moderne, on peut ajouter les qualités sociales de Toussaint, notamment lorsqu'il achète la liberté de sa mère adoptive avant celle de ses propres enfants ou lorsqu'il parlemente pour faire revenir d'exil son ancien maître.
Bref si on ajoute ses qualités physiques, sa capacité à parcourir sans répit l'ensemble de l'île ou à attendre silencieusement pendant des heures sous la pluie pour tendre des embuscades, on ne peut que s'émerveiller devant le portrait iconique de ce héros noir.
Or, malgré la plume très favorable de l'auteur, certaines actions interpellent. Il a, par exemple, toujours refusé de s'entendre avec les différents gouverneurs français de l'île. Pour faire simple, il en a fait renvoyer trois, le dernier ayant eu la chance d'être séquestré avec sa femme et ses filles et menacé d'être mis à mort s'il ne retournait pas en métropole... Et pourtant l'auteur s'efforce de présenter, à coup d'extraits de discours, Toussaint comme quelqu'un qui a toujours était réfractaire à l'idée d'indépendance de l'île, au sens d'une rupture complète des relations avec la France. Les faits qu'il relate ne confirment pas, à mon avis, cette analyse.
Un autre angle mort de cette biographie se niche dans les multiples révoltes militaires (des guerres civiles en vérité) auxquelles Toussaint à dû faire face : des révoltes de ses propres alliés, et constamment, bizarre non ?
Si on ajoute à cela la faible place (2 pages) accordées à la découverte récente d'une preuve montrant que Toussaint à lui même possédé des esclaves avant la révolution haïtienne, fait que l'auteur ne retient même pas dans sa chronologie de fin d'ouvrage, on comprend rapidement les limites de sa thèse.
En refermant cet ouvrage j'ai été très content d'avoir énormément appris sur
Toussaint Louverture et la révolution haïtienne. J'ai rarement corné autant de pages (je le fais à chaque fois que je trouve une information intéressante afin de la reporter sur une fiche de lecture). C'est donc un livre que je recommande sans hésitation malgré quelques longueurs au milieu de l'ouvrage qu'on peut lire en diagonale et un dernier chapitre que j'ai pratiquement sauté. Sinon le reste très pertinent et plutôt bien écrit pour un livre d'histoire. En revanche, une fois cette biographie terminée, je recommande aussi de faire un tour vers la critique qu'en a fait l'historien
Bernard Gainot ( https://doi.org/10.3917/rhmc.683.0210 ) afin d'avoir un contrepoids au portrait un peu trop flatteur que dresse
Sudhir Hazareesingh.